Au Sénégal, le tandem au pouvoir se déchire

Le président Bassirou Diomaye Faye et son premier ministre Ousmane Sonko, arrivés au pouvoir sur une promesse de rupture, affichent de plus en plus ouvertement leurs désaccords.

Le Monde – Les derniers doutes qui subsistaient sont désormais levés : la coalition au pouvoir au Sénégal connaît sa première crise politique. Ces derniers jours, un fossé s’est creusé entre le président, Bassirou Diomaye Faye, et Ousmane Sonko, premier ministre et numéro un des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), leur parti commun.

« La bataille pour la présidentielle 2029 commence. C’est la bande-annonce », commente un proche du président, sous couvert d’anonymat. Et chacun fourbit ses armes : pendant que M. Faye s’emploie à s’assurer le contrôle de Diomaye président, la coalition de partis qui l’a soutenu lors de l’élection présidentielle de 2024, M. Sonko resserre les bases militantes du Pastef.

Le 8 novembre, à Dakar, le premier ministre a tenu un meeting aux allures de démonstration de force. Jusqu’à 100 000 personnes, venues de tout le pays, auraient fait le déplacement pour écouter le fondateur du Pastef, souverainiste et panafricain, qui promet une rupture complète avec le modèle de développement porté par les gouvernements précédents.

« Nettoyer » le système

« Ceux qui appellent au pardon sont ceux qui nous combattaient hier. (…) Ils tentent d’isoler le président Bassirou Diomaye Faye, lui disant que je suis violent. (…) Ce ne sont pas des alliés loyaux. Un allié loyal ne chercherait pas à me séparer de Diomaye », a asséné M. Sonko. En prônant l’unité, ce dernier a accrédité en réalité l’existence de désaccords au sommet de l’Etat.

Dans le viseur du premier ministre : le ministre de l’environnement, Abdourahmane Diouf. Réputé proche du président Faye, à la tête d’un petit parti allié au Pastef, le ministre avait appelé peu de temps auparavant à se montrer clément à l’égard des cadres en poste du temps de l’ancien président Macky Sall.

Un propos qui va à l’encontre des positions défendues par M. Sonko. « Le système que nous avons combattu est toujours présent dans la justice, dans l’administration », a-t-il rappelé durant le meeting, évoquant un nécessaire « nettoyage ».

Depuis la victoire du Pastef à la présidentielle de 2024, la solidité du duo formé par M. Faye et M. Sonko est au centre de l’attention. En 2023, l’opposant Ousmane Sonko avait été déclaré inéligible suite à une condamnation pour diffamation. Le parti avait alors décidé de présenter à sa place Bassirou Diomaye Faye, inconnu du grand public, et avait lancé le slogan électoral « Diomaye mooy Sonko » (« Diomaye c’est Sonko », en wolof). Un attelage original était né, avec un champion électoral obligé de se rabattre sur le poste de premier ministre et son bras droit endossant les habits de président.

« Sonko veut conduire une révolution »

Dès juillet 2025, une première divergence apparaît entre les deux dirigeants. Le premier ministre, violemment attaqué par l’opposition, se demande publiquement pourquoi son camarade ne se montre pas plus ferme avec cette dernière. « Sonko veut conduire une révolution. Il veut débarrasser l’Etat des corrompus et des anciens de Macky Sall, s’assurer que le Pastef dirige. Diomaye Faye veut se montrer plus compréhensif et offrir de la place aux petites formations alliées du Pastef », explique sous couvert d’anonymat un dirigeant d’une cellule à Dakar du parti au pouvoir.

Le 11 novembre, Bassirou Diomaye Faye a précipité la crise en annonçant retirer à Aïda Mbodj, une proche du premier ministre, la direction de la coalition Diomaye président. Il propose à sa place Aminata Touré, sa conseillère spéciale, elle aussi une vieille routarde de la politique, plusieurs fois ministre.

Quelques jours plus tôt, M. Sonko avait pourtant réaffirmé son soutien à Aïda Mbodj. « Monsieur Bassirou Diomaye Faye n’a pas le pouvoir de démettre Aïda Mbodj », dégaine, de son côté, le bureau politique du Pastef dans un communiqué, avant d’enfoncer le clou : « La coalition n’a jamais eu comme président Bassirou Diomaye Faye, qui en était uniquement le candidat. »

Le 13 novembre, l’absence d’Ousmane Sonko au conseil des ministres a été remarquée. Officiellement, le premier ministre avait pris des congés le 6 novembre, sans indiquer de date de retour.

Restructurer la dette

Arrivés au pouvoir après des années d’opposition et de répression, les cadres du Pastef se retrouvent dans une situation délicate. Le Sénégal est écrasé par le poids d’une dette abyssale, contractée sous la présidence de Macky Sall. Entre les sacrifices à demander aux citoyens et le dialogue à construire avec le FMI pour restructurer la dette, les défis sont nombreux.

« Il y a des choix stratégiques à faire, forcément, des divergences naissent », reconnaît Ansou Sambou, cadre du Pastef à Dakar, qui croit toujours à une réconciliation possible entre les deux hommes.

Les vieux partis sénégalais qui ont rythmé la vie politique jusque dans les années 2010 sont affaiblis. Les partisans de Macky Sall ont perdu de leur influence. Un scénario se profile : que d’ici à l’élection présidentielle de 2029, la vie politique se recompose depuis l’intérieur du Pastef, quitte à ce que le parti, qui avait jusque-là réussi à rassembler depuis les rangs des libéraux jusqu’à ceux de la gauche, finisse par se scinder.

 

 

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page