Au Maroc, victoire dans les urnes des partis proches du roi au détriment des islamistes

Le Parti de la justice et du développement a été sévèrement sanctionné lors des législatives après une décennie d’exercice du pouvoir.

Le Monde – La débâcle est sans appel, bien plus sévère que ne l’annonçaient la plupart des observateurs. Le Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste), au pouvoir au Maroc depuis dix ans – dans des coalitions très étroitement contrôlées par le roi Mohamed VI –, a essuyé, mercredi 8 septembre, un cinglant revers lors d’élections législatives à l’issue desquelles il n’arrive qu’en huitième position (12 sièges sur 395). Cette déroute met un terme à la séquence historique ouverte par le « mouvement du 20 février » de 2011, version marocaine des « printemps arabes », dont les islamistes du royaume avaient été les principaux bénéficiaires au fil d’élections nationales comme locales.

 

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Leur échec ouvre désormais la voie à la montée en puissance du Rassemblement national des indépendants (RNI), dirigé par un homme d’affaires proche du roi, Aziz Akhannouch – première fortune privée du Maroc –, qui devient le premier parti représenté à l’Assemblée, avec 97 sièges. La deuxième position revient à une autre formation liée au palais, le Parti authenticité et modernité (PAM) – 82 sièges –, talonné par le Parti de l’Istiqlal (PI), héritier du « mouvement national » engagé dans la lutte pour l’indépendance. Le taux de participation s’est élevé à 50,35 %, en hausse par rapport au scrutin de 2016 (42,29 %), malgré une campagne plutôt terne menée principalement sur les réseaux sociaux, contraintes sanitaires obligent.

Les conditions dans lesquelles le scrutin s’est déroulé n’étaient assurément pas favorables au PJD, déjà affaibli par ses compromissions dans l’exercice du pouvoir. Le changement de calcul du quotient électoral, désormais basé sur le nombre d’inscrits et non plus de votants, visait clairement à doper les chances des formations moyennes, et donc à morceler la scène électorale au détriment d’un parti comme le PJD.

« Distribution obscène d’argent »

 

Des achats présumés de voix, durant la campagne, ont ajouté à l’adversité, le parti islamiste dénonçant mercredi de « graves irrégularités », dont « la distribution obscène d’argent ». Les résultats soulignent, malgré tout, « un rejet indéniable » du PJD, miné par « une profonde crise de crédibilité », relève Youssef Belal, professeur de sciences politiques à l’université Columbia de New York et auteur de travaux sur l’islamisme marocain. « Le PJD paie aujourd’hui le prix de toutes les couleuvres qu’il a dû avaler durant l’exercice du pouvoir », ajoute M. Belal.

Le parti islamiste avait été appelé par le roi à diriger le gouvernement à l’issue de sa victoire aux élections législatives de la fin 2011 tenues dans la foulée du « Mouvement du 20 février », qui s’était mobilisé contre la « corruption et le despotisme », dans l’effervescence régionale attisée par la révolution tunisienne.

 

Reconduit à la tête du gouvernement après sa nouvelle victoire en 2016, le PJD avait toutefois dû composer avec des partenaires proches du palais, au sein de coalitions lui laissant peu de marge de manœuvre sur les dossiers stratégiques et régaliens. Le très conciliant premier ministre, Saad-Eddine Al-Othmani, qui avait succédé en 2017 au pugnace Abdelilah Benkirane, avait ainsi dû cautionner, en décembre 2020, la normalisation des relations entre le Maroc et Israël.

A rebours du programme de son parti, il avait également été contraint d’accepter le renforcement de la place du français dans l’enseignement public ou la légalisation du cannabis thérapeutique. Toutes ces concessions ont fini par faire plonger le parti dans une « crise identitaire », selon M. Belal, qui annonce la « clôture au Maroc du cycle des “printemps arabes” » en liaison avec l’offensive, en Tunisie, du président Kaïs Saïed contre Ennahda, parti issu de la matrice islamiste.

Nouvelle ère

 

La nouvelle ère qui s’ouvre au Maroc voit donc le grand retour de formations intimement liées au palais. Parti de notables, le RNI avait été créé en 1978 par le premier ministre de l’époque, Ahmed Osman, beau-frère du roi Hassan II, dans le but de structurer une offre électorale contre la gauche, alors très influente.

Au lendemain du « Mouvement du 20 février » de 2011, le RNI et le PAM – fondé par un conseiller du roi – étaient censés jouer le même rôle face à un PJD en pleine ascension. La mise sur orbite, en 2016, à la tête du RNI d’Aziz Akhannouch (60 ans), ministre de l’agriculture et de la pêche sans discontinuer depuis 2007, n’avait ainsi pas d’autre objectif que de préparer la future alternative au PJD.

Héritier d’une fortune familiale bâtie sur la distribution des hydrocarbures – il est le patron des stations d’essence Afriquia –, M. Akhannouch avait dû batailler pour contrer les soupçons d’ententes illicites faussant la concurrence dans ce secteur. « L’ironie est que le mélange entre le pouvoir politique et le monde de l’argent, qui avait été dénoncé par le “mouvement du 20 février”, se retrouve maintenant à la tête du gouvernement », souligne M. Belal.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

 

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