Amine Kessaci, militant écologiste : « Non, je ne me tairai pas. Je dirai et répéterai que mon frère Mehdi est mort pour rien. Je dirai la violence du narcotrafic »

Connu pour son combat contre les ravages du trafic de drogue dans les quartiers populaires de Marseille, le frère de Mehdi, 20 ans, assassiné le 13 novembre, dénonce, dans une tribune au « Monde », « la lâcheté des commanditaires » et exhorte l’Etat à « comprendre qu’une lutte à mort est engagée ».

Le Monde – Hier [le 18 novembre], j’ai enterré mon frère. Mon cœur n’est que blessure. La douleur m’éparpille. Mais elle n’effrite pas ma lucidité. Nous ne sommes dupes de rien. J’entends les belles paroles, les discours soudain volontaires. Je vois les postures de ceux qui prennent des mines affligées et demain continueront leur route comme si de rien n’était, parce que pour eux la vie des autres n’est rien et que seul compte le manège de leurs propres vanités. Je vois sans les lire la foule des commentaires de tout un chacun qui croit savoir mais ne sait rien.

Parce que sa mort ne doit pas être recouverte par les sables de l’indifférence et de l’oubli. Mille fois j’écrirai son nom et je ferai face à ses assassins. Je serai le gardien de sa mémoire. Non, je ne me tairai pas.

Je dirai et répéterai que Mehdi est mort pour rien. Je dirai la violence du narcotrafic. Son emprise. Je dirai la lâcheté des commanditaires des crimes. Je dirai la dérive folle de ceux qui exécutent des contrats, brisent des vies et souillent leur âme à jamais. Je dirai pour trouer le silence comme eux trouent les corps de nos proches. Je dirai les carences de l’Etat, les failles de la République, les territoires abandonnés et les populations oblitérées.

Un jour du mois d’août, la police m’a demandé de quitter ma ville et de fermer les locaux de l’Association Conscience parce que j’étais ciblé. Sans m’en dire plus. Les semaines ont passé, sans m’en dire plus. Devant mon insistance à savoir, et parce que les menaces ne se tarissaient pas, on m’a accordé une protection policière, mais sans l’étendre aux miens. Pourtant, qui ignorait que ma famille avait déjà payé un tribut de sang ? Comment ne pas savoir que ma famille pouvait être touchée ?

Il est temps d’agir

Alors maintenant j’entends les discours. Mais qui rendra ses enfants assassinés à ma mère ? Le premier tombé, Brahim [dont le corps a été retrouvé le 29 décembre 2020], repose à Alger. Le second, Mehdi, avait 20 ans. Il a été touché en plein thorax par ses assassins. Il n’était coupable que d’être mon frère. Qui me rendra nos jeux, ses moqueries, sa tendresse, son soutien ?

On me parle de crime d’avertissement. Mais un crime n’est jamais un avertissement. Le sang versé l’est pour toujours, et a plongé ma famille dans l’infini de la mort. On nous frappe pour nous briser, pour nous domestiquer, pour nous asservir. Voici ce que font les trafiquants : ils tentent d’annihiler toute résistance, de briser toute volonté, de tuer dans l’œuf tout embryon de révolte pour étendre leur pouvoir sur nos vies.

Face à un tel ennemi, l’Etat doit prendre la mesure de ce qu’il se passe et comprendre qu’une lutte à mort est engagée. Il est temps d’agir, par exemple de faire revenir les services publics dans les quartiers, de lutter contre l’échec scolaire qui fournit aux trafiquants une main-d’œuvre soumise, de doter les enquêteurs et les forces de police des moyens dont ils ont besoin, de renforcer, de soutenir réellement les familles de victimes du narcotrafic. Nous comptons nos morts, mais que fait l’Etat ?

Hier, j’ai enterré mon frère, et aujourd’hui je parle. Je parle et je ne me tairai pas parce que ma mère m’a appris à ne pas baisser la tête. Je parle, depuis mon deuil, depuis l’épicentre de ma souffrance, pour demander justice pour les miens, mais aussi pour toutes les autres victimes. Je parle parce que je ne peux que lutter si je ne veux pas mourir. Je parle parce que je sais que le silence est l’abri de nos ennemis. Je parle parce que je veux que mille voix s’épanouissent. Que notre révolte face au narcotrafic soit durable, et collective. Levons-nous ensemble. Courage. On ne peut pas tuer tout un peuple.

Amine Kessaci, frère de Brahim et de Mehdi, militant écologiste, fondateur en 2020 de l’Association Conscience.

Source : Le Monde

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