L’Algérie a décidé de rompre ses relations diplomatiques avec le Maroc. Ce n’est que le dernier épisode d’une longue crise de confiance entre les deux pays, qui remonte aux années 1960 mais qui s’est approfondie avec le conflit au Sahara occidental.
C’est peu dire que les relations entre l’Algérie et le Maroc ont toujours été belliqueuses, chargées de tensions et ponctuées de conflits. En 1963, la guerre dite « des sables », portant sur le tracé frontalier en attestait déjà. Pour les dirigeants de ces deux grands États du Maghreb qui se disputent le leadership régional, la construction de l’ennemi extérieur reste un moyen de consolider leurs régimes politiques, en tous points opposés, et de raviver un nationalisme combien utile à la cohésion de la nation.
À partir de 1975, la compétition pour le leadership régional se cristallise sur le dossier du Sahara occidental, provoquant une rupture des relations diplomatiques entre 1976 et 1988. En 1994, la conflictualité n’a pas été dissipée avec le temps. Driss Basri, ministre marocain de l’intérieur, a laissé entendre que les services secrets algériens pouvaient avoir commandité l’attentat terroriste d’un hôtel à Marrakech qui a fait deux victimes espagnoles. Il instaure des visas d’entrée pour les Algériens et organise une campagne d’expulsion d’Algériens installés au Maroc, sans carte de séjour. La riposte d’Alger est sans appel, la frontière terrestre est fermée et le demeure encore — même s’il existe une forte contrebande — 27 ans après les faits, malgré les demandes d’ouverture du roi Mohamed VI.
Les ouvertures ratées d’Abdelaziz Bouteflika
Abdelaziz Bouteflika a tenté de rompre cette spirale de tensions et de ruptures. À peine élu, en 1999, il se rend aux obsèques de Hassan II, évoque les avantages d’un Maghreb débarrassé de ses vieux conflits et opte pour un climat de détente nécessaire pour aller de l’avant dans le développement de la région. Mais il a été choisi par l’armée algérienne pour être à la tête de l’État et ne peut ignorer les principes fondamentaux mis en place par les militaires qui gèrent la relation entre l’Algérie et le Maroc. Pour écrire une nouvelle page d’histoire, débarrassée des tensions récurrentes, il doit constamment ménager la chèvre et le chou, en réaffirmant régulièrement le soutien algérien à l’autodétermination du Sahara occidental. Un jeu d’équilibrisme qui ne satisfait pas la classe politique marocaine.
En 2005, le ministère marocain des affaires étrangères fait savoir au premier ministre algérien Ahmed Ouyahia que sa visite n’est pas opportune, dans la mesure où certaines déclarations vont à l’encontre des objectifs de la normalisation des relations entre les deux pays. En effet, le président Bouteflika a adressé un message de soutien au Front Polisario, réaffirmant le droit à l’autodétermination des Sahraouis. Depuis, aucun premier ministre algérien ne s’est rendu au Maroc. Ces tensions permanentes, devenues inhérentes aux relations entre les deux pays, indiquent que la rivalité entre les deux grands États du Maghreb pour le leadership régional n’a jamais été dépassée et que le recours aux mêmes méthodes d’affrontement du pays voisin, considéré comme ennemi, est toujours observable, malgré un environnement régional qui se modifie en profondeur.
L’axe Washington-Tel Aviv-Rabat
L’accord donné par le Maroc, le 22 décembre 2020 à une normalisation de ses relations avec Israël en contrepartie de la reconnaissance des États-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental a créé un déséquilibre dans la relation entre les deux grands États du Maghreb. Il signe d’abord l’échec de l’Algérie qui appuie le Front Polisario depuis 1975. En effet, même si l’administration Biden n’a pas confirmé cette reconnaissance du Sahara occidental et que l’Union européenne conserve un silence éloquent sur cette question, les Algériens savent que c’est une question de temps et que le Maroc se verra bien octroyer ce territoire, au mépris d’un processus de résolution du conflit saharien confié aux Nations unies depuis 1991. Par-delà cet échec, l’Algérie n’a plus prise sur son ennemi et rival marocain. Aujourd’hui, le Maroc n’opère plus prioritairement dans le cadre du Maghreb, et son ambition n’est plus d’être leader au Maghreb, mais en Afrique.. La normalisation de ses relations avec Israël lui donne les moyens de ses nouvelles ambitions.
En aidant Israël à retrouver son statut d’observateur au sein de l’Union africaine (UA) perdu en 2002, le Maroc lui montre qu’il est capable de peser efficacement au sein de l’instance africaine. En effet, l’Algérie a tenté de s’opposer à la réintégration d’Israël, rappelant aux membres de l’UA que cette instance a toujours appuyé la cause palestinienne. En déployant ses talents diplomatiques au sein de l’UA et son influence en Afrique de l’Ouest au profit de son nouvel allié israélien, Rabat compte tirer profit.
Politologue, enseignante (université de Paris 1) et chercheuse associée au laboratoire Sirice
Source : Orientxxi.info
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