Ahmed Yahya : pourquoi la Mauritanie doit analyser, comprendre… et soutenir plutôt que renverser

Élimination des Mourabitounes, colère populaire, appels à la démission : à chaque faux pas, le même scénario se répète. Pourtant, derrière l’émotion et les réactions à chaud, l’analyse froide montre une tout autre réalité. Le football mauritanien traverse une zone de turbulences, oui. Mais demander la tête de son principal bâtisseur n’est ni juste, ni rationnel, ni stratégique. Voici pourquoi.

Un débat récurrent, mais trop souvent déconnecté des faits. La défaite 2–0 contre le Koweït tout à l’heure a relancé un refrain devenu presque traditionnel : « Ahmed Yahya doit démissionner. » Une exigence automatique, presque mécanique, qui revient à chaque élimination, chaque non-qualification, chaque période de doute. Pourtant, quand on s’éloigne du bruit des réseaux sociaux et qu’on se penche sur les faits, plusieurs éléments apparaissent clairement :

• Aucune enquête, aucun rapport public crédible n’a jamais épinglé Ahmed Yahya pour corruption, détournement, scandale financier ou moral.
• Aucun dossier ne justifie légalement ou éthiquement une démission.
• Toutes les évolutions structurelles du football mauritanien de la dernière décennie portent, directement ou indirectement, sa signature.

Autrement dit : le débat populaire n’est pas aligné avec la réalité factuelle. Un état des lieux lucide : le football mauritanien traverse une période difficile Ne nous voilons pas la face. Oui, le football mauritanien souffre actuellement :

• résultats irréguliers,
• difficultés offensives chroniques,
• manque de profondeur dans l’effectif,
• transition générationnelle mal digérée,
• compétitions continentales plus exigeantes,
• stagnation tactique de la sélection A.

Toutes ces critiques sont valables. Elles méritent d’être entendues. Elles doivent même être discutées. Mais elles doivent être analysées avec cohérence : ce sont des problèmes sportifs, pas des fautes de gouvernance. C’est là que le débat glisse souvent sur une pente émotionnelle : on confond frustration sportive et responsabilité administrative. Pourquoi demander sa démission est une erreur stratégique. Il n’existe aucun scandale grave justifiant sa mise à l’écart Dans de nombreux pays, les présidents de fédération tombent pour :

• corruption,
• détournements,
• gestion opaque,
• favoritisme,
• ingérence politique,
• achat de votes,
• malversations financières.

Rien de tel n’a jamais été évoqué officiellement ou démontré à propos d’Ahmed Yahya. Aucun rapport de la CAF, de la FIFA, de l’IGE, ni d’un quelconque organe indépendant ne l’a incriminé. L’appeler à démissionner uniquement parce que l’équipe perd. C’est comme demander au ministre de la Santé de quitter son poste parce qu’un hôpital a mal opéré un patient. Ce n’est ni logique, ni juste, ni sérieux. Le chantier qu’il a lancé est l’un des plus importants de l’histoire sportive du pays Aujourd’hui, les jeunes mauritaniens trouvent :

• des terrains synthétiques modernes,
• un centre technique fonctionnel,
• des académies structurées,
• une fédération mieux organisée,
• un championnat plus crédible,
• des programmes de formation pour les entraîneurs,
• des financements FIFA bien utilisés,
• des infrastructures qui n’existaient pas il y a 15 ans.

Ces transformations ne viennent pas de nulle part. Ahmed Yahya a fait ce que beaucoup de pays africains n’ont pas su faire : utiliser efficacement les fonds FIFA Forward. Les montants de la FIFA ont été injectés dans le développement local. Les chantiers ont été visités et validés. C’est une réalité objective : l’homme a transformé l’écosystème du football mauritanien. Ce chantier doit être consolidé, pas interrompu. La stabilité institutionnelle est indispensable dans le football moderne

Les nations qui progressent sont celles qui gardent une direction stables, à l’inverse, les fédérations en crise ont un point commun : instabilité permanente, gestion de court terme, pression populaire constante. Changer de président à chaque défaite, c’est revenir au football des années 1990 : chaos, amateurisme, instabilité, absence de vision. Ce n’est pas une solution. C’est un suicide sportif. Sans continuité, les projets FIFA et CAF seront fragilisés
Les relations internationales, l’accès aux financements, les programmes d’élite, les projets de centre technique, les arbitrages complexes…tout repose sur un réseau, une diplomatie sportive, une continuité. Ahmed Yahya siège :

• au Conseil de la FIFA,
• à la CAF,
• dans plusieurs commissions stratégiques.

Son départ brusque serait un énorme recul diplomatique pour la Mauritanie. Ce n’est pas un détail : le football moderne est aussi politique et relationnel. Les critiques restent légitimes mais elles doivent viser les bons leviers . Soutenir la gouvernance ne veut pas dire qu’il ne faut pas critiquer le sportif. Voici où les demandes de changement sont légitimes :

• revoir l’encadrement technique,
• moderniser les méthodes d’entraînement,
• investir davantage dans les U17 et U20,
• revoir la stratégie de recrutement des binationaux,
• renforcer la préparation mentale et physique,
• restructurer la ligue nationale.

Ce sont des critiques intelligentes, orientées sur les causes… pas sur les symboles. Une vérité que beaucoup refusent d’admettre La Mauritanie a grandi trop vite. Le pays a goûté à la CAN, à la médiatisation, à l’espoir. Et comme souvent : plus les attentes montent, plus la déception est violente. Le problème aujourd’hui n’est pas le président de la fédération. Le problème, c’est :

• un cycle sportif à reconstruire,
• des joueurs en perte de confiance,
• une transition générationnelle délicate,
• une absence de continuité tactique.

C’est un ajustement sportif. Pas une crise institutionnelle. La Mauritanie a besoin de soutien, pas de sabotage émotionnel. En démocratie sportive, chacun a le droit d’exprimer sa frustration. Mais un pays ne peut pas se développer si ses institutions changent au rythme des émotions. Ahmed Yahya n’est pas parfait. Aucun dirigeant ne l’est. Mais il a un mérite immense : il a construit les fondations du football mauritanien moderne. Quand un chantier traverse une tempête, on ne casse pas les piliers. On les renforce. La Mauritanie doit aujourd’hui :

• critiquer intelligemment,
• exiger mieux,
• s’organiser,
• reconstruire,
• soutenir les efforts de réforme,
• préparer l’avenir.

Mais elle ne doit pas, au nom d’une élimination, détruire l’un des rares bâtisseurs que le sport national ait connus.

 

 

 

Souleymane Hountou Djigo

Journaliste, blogueur

 

 

 

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