– A bien des égards, Samuel Eto’o n’a pas changé. L’ex-attaquant, 44 ans désormais, reste un personnage à part, de ceux qui parlent régulièrement d’eux à la troisième personne. Mais l’exercice du pouvoir – il a été réélu, le 29 novembre, au poste de président de la Fédération camerounaise de football (Fecafoot), qu’il occupe depuis 2021 – l’a remodelé et, sans doute, contraint à modérer ses ambitions, dans un pays où politique et football sont fortement imbriqués.
Les Lions indomptables, qui ont échoué à se qualifier pour la prochaine Coupe du monde 2026, débutent, mercredi 24 décembre, en Coupe d’Afrique des nations (CAN) 2025, par un match contre le Gabon. Avant de se rendre au Maroc, entre un passage par Yaoundé pour assister à la finale de la Coupe du Cameroun et un crochet par Doha, au Qatar, pour assister à la cérémonie The Best de la Fédération internationale de football (FIFA), le meilleur buteur de l’histoire de son pays s’est autorisé un court passage à Paris, le 15 décembre, où il s’est entretenu avec Le Monde.
Quel objectif avez-vous fixé aux Lions indomptables pour cette CAN ?
Notre première victoire serait de connaître une compétition sans souci majeur. Lors de la CAN en Côte d’Ivoire [en 2024], on a connu des problèmes extrasportifs qui n’ont pas permis à l’équipe d’être performante. Ça a été une bonne leçon et c’est maintenant derrière nous. On a perdu beaucoup de temps, donc on ne se fixe pas d’objectif. Mais on reste le Cameroun : on va donner le meilleur de nous-mêmes et essayer d’aller le plus loin possible.
Vous avez changé de sélectionneur à trois semaines de la compétition, en remplaçant le Belge Marc Brys par un entraîneur camerounais, David Pagou. N’est-ce pas risqué ?
Lors de la dernière CAN, la Côte d’Ivoire a changé de sélectionneur deux semaines après le début de la compétition et son équipe l’a remportée. Donc ça ne veut rien dire. David Pagou a été nommé meilleur entraîneur du Cameroun par ses pairs, il vit avec le groupe depuis plusieurs mois et le connaît très bien. Il n’est pas arrivé là du jour au lendemain.
Il était important que le nouveau sélectionneur soit camerounais ?
Sur les neuf équipes africaines qui disputeront la prochaine Coupe du monde, sept se sont qualifiées grâce à un entraîneur de leur pays. Il faut aussi créer ce rêve chez nous, que les footballeurs d’aujourd’hui se disent qu’ils auront l’opportunité, demain, de devenir entraîneur de la sélection.
Pourquoi avez-vous choisi de devenir président de la Fecafoot plutôt que sélectionneur après votre carrière de joueur ?
Je vais vous faire une confidence : initialement, je ne me dirigeais pas vers la Fecafoot. J’avais commencé à passer mes diplômes d’entraîneur parce que je voulais comprendre ce qui se passe dans la tête d’un sélectionneur. Maintenant que j’ai compris, ça ne me passionne plus. C’est très loin derrière moi. Surtout, j’ai toujours voulu être dirigeant et l’opportunité de la Fecafoot s’est présentée.
Votre premier mandat a été marqué par le bras de fer engagé entre la Fecafoot et le ministère des sports au sujet de la nomination de Marc Brys, à laquelle vous vous opposiez. Il a finalement été écarté le 1er décembre, après votre réélection. Comment avez-vous obtenu son limogeage ?
C’était une question de bon sens et de respect des textes. Qu’est-ce que ces textes disent ? Que le comité exécutif de la Fecafoot, sur proposition du président, choisit le sélectionneur. Mais des habitudes s’étaient installées. Ça n’avait rien à voir avec la personne de Marc Brys, que je ne connaissais pas. C’est juste que je ne pouvais pas réaliser le projet qui m’a permis d’être élu. On a fini par accepter ce choix, parce que le Cameroun est au-dessus de tout. Mais en constatant que l’image du pays continuait d’être salie, on a pris nos responsabilités.
Vous attendiez-vous à ce que ce poste de président soit aussi difficile, que vous seriez autant sous pression ?
La pression, elle ne me dérange pas. Mais il y a quelque chose qui s’appelle la politique. Qu’est-ce que veulent les politiciens ? Des résultats. Quand l’équipe nationale gagne, ce sont eux qui doivent tout récupérer. Mais si nous ne pouvons pas travailler en ce sens, il y a un problème.
Notre position est de dire que nous respectons la tutelle qui est imposée à la Fecafoot, mais que le ministère des sports ne peut pas être le ministère du football. Vous conviendrez que, techniquement, ces politiciens ne sont pas outillés à gérer. Nous sommes complémentaires pour atteindre nos objectifs communs.
En tant que président de la Fecafoot, qu’avez-vous appris de la politique ?
Je ne veux pas apprendre la politique. J’en fais en tant que président de la Fecafoot, mais celle dont vous parlez, elle ne m’intéresse pas. C’est pourquoi je reste footballeur, avec pour unique intérêt de faire avancer le football.
Un destin à la George Weah, ancien Ballon d’or devenu chef d’Etat du Liberia, ne vous intéresse pas ?
Cette question me cause 99 % des problèmes que j’ai aujourd’hui, parce que les gens voient que je suis encore plus populaire que quand j’étais joueur et se disent : “C’est sûr qu’il veut devenir chef d’Etat.” Ça me crée des problèmes, même avec ceux qui sont tapis dans l’ombre et qui attendent l’opportunité de devenir chef d’Etat.
Même quand nos idées sont bonnes à la Fecafoot, ceux-là les traduisent sur le champ politique et créent des blocages. Mais tout le monde ne veut pas devenir chef d’Etat et, d’ailleurs, on ne peut pas tous devenir chef d’Etat. J’ai fait un très bon choix en allant vers la Fecafoot et même quand il y a des difficultés, je trouve la force parce que ça me passionne.
Pourquoi avez-vous soutenu Paul Biya, âgé de 92 ans, dont quarante-trois ans passés à la tête du Cameroun, lors de la dernière élection présidentielle d’octobre ?
C’est une question personnelle, chaque Camerounais a sa propre opinion sur les différents candidats. J’ai d’ailleurs entendu un jeune frère que j’adore, Francis Ngannou [combattant d’arts martiaux mixtes], dire qu’il n’aurait jamais conseillé de voter pour Paul Biya.
On voit la maturité des Camerounais et je suis content de constater qu’il y a beaucoup de jeunes qui se sont lancés en politique ces dernières années. Cabral Libii [député du Parti camerounais pour la réconciliation nationale, candidat à la présidentielle en 2018 et 2025], par exemple, se bat pour faire passer ses idées.
Comprenez-vous l’espoir de changement qu’a incarné le candidat d’opposition Issa Tchiroma Bakary ?
Bien sûr que je le comprends et je le respecte. A une époque pas si lointaine, on refusait aux Camerounais de réfléchir et de penser par eux-mêmes. C’était très dangereux. Ce qu’on a toujours souhaité, c’est qu’il y ait un débat d’opinion et que le meilleur gagne. On ne peut qu’être heureux que M. Issa Tchiroma ait créé cet espoir et que des millions de Camerounais aspirent à autre chose.
Quasi la moitié de cette sélection est composée de joueurs binationaux, formés en Europe. Ça vous inspire quoi ?
Ce n’est pas l’idéal de Samuel Eto’o. Mais je suis confiant que dans cinq ou six ans, les Lions indomptables seront à 80 % des joueurs issus du projet camerounais. Aujourd’hui, toutes nos décisions on les prend pour que les footballeurs pensent qu’ils peuvent réussir au Cameroun.
Pour que les meilleurs puissent partir dans de bonnes conditions en Europe et que ceux qui restent au Cameroun soient payés à leur juste valeur pour construire leur vie au pays. On bonifiera ensuite la sélection avec des joueurs binationaux qui sont aussi des Camerounais comme les autres, mais qui ont eu l’opportunité de naître ailleurs.
Quelques semaines avant le début de la CAN, la FIFA a décalé d’une semaine la date de mise à disposition des joueurs pour leur sélection. Est-ce un manque de respect pour le football africain ?
En tant que président de la Fecafoot, mon travail est de tout faire pour que mon sélectionneur ait ses joueurs à disposition le plus tôt possible. Mais il faut aussi comprendre que la FIFA a beaucoup de défis, on doit l’accepter. Quand elle prend une décision, c’est d’abord pour le bien des joueurs. La FIFA arbitre et, vous savez, l’arbitre a souvent le mauvais rôle.
Le journaliste français Christophe Gleizes a été condamné en appel, le 3 décembre, à sept ans de prison en Algérie pour « apologie du terrorisme », alors qu’il enquêtait sur la mort, en 2014 à Tizi Ouzou, du joueur camerounais de la Jeunesse sportive de Kabylie Albert Ebossé. Est-ce que vous pensez, à titre personnel, vous engager pour sa libération ? A l’occasion de la CAN, la Confédération africaine de football devrait-elle, selon vous, afficher son soutien au journaliste ?
Je ne peux pas m’engager sur des questions politiques qui ne relèvent pas de ma compétence. La seule chose que je peux vous dire, c’est que je souhaite qu’il retrouve la liberté le plus tôt possible. Et je pense que tous les efforts qui seront fournis pour sa libération seront les bienvenus.
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