Mauritanie – L’HÉMIPLÉGIE IDENTITAIRE ET LE MYTHE DE L’ÉTAT MONOLITHIQUE : RÉPONSE À M. ÉLY SNEIBA

Il est des lectures de l’histoire qui, sous couvert de « parler vrai » et sur le mode mélodramatique de la tourmente émotionnelle, relèvent davantage de la réécriture idéologique que de la rigueur factuelle.

La dernière tribune de Monsieur Ely Ould Sneiba est de celles-là. En tentant de théoriser le refus de la diversité mauritanienne, l’auteur s’adonne à un exercice périlleux : faire parler les morts pour justifier l’exclusion des vivants.

L’erreur fondamentale, la « faute originelle » de sa thèse, réside dans cette affirmation péremptoire selon laquelle les pères fondateurs envisageaient la Mauritanie comme un Etat mono-ethnique, un « État arabe » exclusif, avec de simples minorités périphériques plus ou moins tolérées et sous tutelle culturelle et linguistique. Pire encore, il suggère que notre diversité serait factice, imposée par des « flux étrangers » plus ou moins récents.

Le démenti cinglant de Moktar Ould Daddah

Depuis les années 70, Les nationalistes bornés aiment évoquer l’image de negro-africains envahisseurs, en « flux étrangers continus » pour qualifier de  » sénégalais » les composantes négro-africaines de ce pays. C’est même devenu la principal terme de suspicion à l’encontre des citoyens négro-africains confrontés à certains agents publics prompts à leur soutirer des sous notamment dans les transports interurbains. Le Ministère de l’intérieur, lors de la période précédent immédiatement les déportations a mis sur pied une « commission » dont la mission était d »identifier » les villages qui auraient été implantés tout le long du fleuve par des « ressortissants sénégalais » depuis l’époque coloniale ! Cette commission fantôme aurait produit le rapport ayant servi de base théorique et topographique des déportations.

Cette démarche stupide et criminogène relève d’un véritable négationnisme historique que Moktar Ould Daddah lui-même avait pris le soin de déconstruire, d’avance. Dans ses Mémoires (pp. 151-152), le premier Président justifie la vision d’une nation plurielle par la profondeur de l’histoire :

«La Mauritanie fit partie… des Empires qui se sont succédé dans le Sahel : Empire du Tékrour (VIIIème siècle), Empire du Ghana (à partir du VIIIème siècle), Empire des Almoravides (XIème siècle), Empire du Mali (XIIIème au XIVème siècle), Empire Songhaï (XVIème siècle)… La Mauritanie bi-ethnique ne date donc pas d’aujourd’hui. » Les populations Peules, Soninkés et Wolofs ne sont pas des « pièces rapportées » sur un socle préexistant ; elles sont les héritières de ces empires, co-propriétaires indivis de cette terre avec leurs frères maures,  » arabo-berbères » écrit-il.

Une mise en garde prémonitoire

Affirmer la vision assimilationniste de M. Sneiba, c’est trahir la pensée politique du père de la nation. Plus grave encore, c’est ignorer une menace existentielle que Moktar Ould Daddah avait identifiée avec une lucidité prophétique.

Il semble s’adresser directement à M. Ely Ould Sneiba — et, au-delà, aux dirigeants du pays — lorsqu’il écrit cette phrase terrible de vérité :

« J’évoque souvent dans ce livre la composition bi-ethnique de la Mauritanie. C’est une réalité qu’aucun dirigeant mauritanien ne peut ignorer sans prendre le risque de mettre en cause l’existence même du pays. Sa connaissance et sa reconnaissance par les responsables mauritaniens sont indispensables pour la construction de la Patrie mauritanienne sur des bases solides. »

Ignorer cette réalité n’est donc pas une opinion politique comme une autre ; c’est, selon le fondateur même de notre État, « mettre en cause l’existence même du pays ».

La Mauritanie comme trait d’union est un impératif de survie existentielle

Il faut d’ailleurs rappeler que si la Mauritanie a pu exister en tant qu’entité souveraine face aux appétits territoriaux du « Grand Maroc » à l’aube de son indépendance, c’est précisément grâce à son ancrage négro-africain et à la solidarité diplomatique subsaharienne, en plus du soutien sans faille de feu Habib Bourguiba. Le « Trait d’union » n’était pas une figure de style poétique ou romantique, c’était une stratégie de survie vitale.

Unité n’est pas uniformité

M. Ely Ould Sneiba ose la comparaison avec le Sénégal ou le Mali, louant leur neutralité ethnique  » à la française ». C’est un sophisme. Un exemple typique du contresens en matière d’argumentation. M. Ely cite le Mali et le Sénégal comme pays qui appliqueraient sa vision monoéthnique. Mais ni le Sénégal n’est un Etat Olof ni le Mali, un Etat bambara du point de vue de leur constitution. Au contraire, au Mali, la constitution officialise désormais toutes les langues nationales du pays, les plaçant ainsi au même plan juridique. Au Sénégal aucune langue nationale n’est officielle. Seul le français, une langue étrangère l’est, ce qui ne saurait durer par ailleurs. La véritable force de la Mauritanie ( et des autres pays sahéliens et même du Maghreb) ne réside pas dans une homogénéisation forcée — qui s’apparente à une violence symbolique — mais dans leur capacité à créer du commun à partir du pluriel. C’est le cas tout particulièrement de la Mauritanie terre de diversité culturelle par excellence comme semble l’ignorer M. Ely Ould Sneiba. Prétendre que le malaise de 1966 ou d’aujourd’hui vient d’un « refus de s’intégrer » est un aveu terrible : c’est admettre que l’État exige des Négro-Mauritaniens qu’ils renoncent à eux-mêmes pour devenir citoyens. Ce n’est pas de l’intégration, c’est de la dissolution.

Le naufrage stratégique

Au-delà de l’histoire, cette vision monolithique est un contresens géopolitique moderne. À l’heure où le monde se bat pour l’influence dans le Sahel, vouloir nous couper de notre africanité culturelle, c’est nous priver de notre encrage et de notre « Soft Power » naturel dans la sous région. L’hémiplégie identitaire qui résulterait fatalement de cette vision parcellaire de notre identité nationale est donc une erreur stratégique majeure.
Conclusion

Si l’auteur vote « non » à une Mauritanie qui reconnaîtrait ses deux visages, il ne vote pas contre des « nationalistes » négro-africains, il vote contre la géographie, contre l’histoire, et contre la mise en garde explicite de Moktar Ould Daddah. Il vote pour le séparatisme et, potentiellement, la guerre civile.

Vouloir une Mauritanie exclusivement arabe ou exclusivement négro-africaine, c’est comme demander à un oiseau de choisir avec laquelle de ses deux ailes il préfère voler. L’histoire nous a donné deux ailes. Ceux qui suggèrent d’en couper une au nom d’une pureté idéologique fantasmée ne préparent pas l’envol de la nation, mais sa chute inéluctable, dans un monde de chaos.

 

 

Gourmo Lô

12 décembre 2025

 

 

 

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