– Le vent, les vagues et, au loin, la promesse de l’Europe. Depuis 2019, la route des Canaries, archipel espagnol situé au large du Maroc, est l’une des voies les plus empruntées par les migrants pour rejoindre le Vieux Continent. Mais cette année, ce trajet périlleux à travers l’océan Atlantique – et ses courants meurtriers – connaît un repli sans précédent : du 1er janvier au 30 novembre, 16 807 personnes, principalement originaires du Mali, ont accosté sur l’une des îles des Canaries, soit une chute de 60 % par rapport à la même période de 2024, selon le ministère de l’intérieur espagnol.
Frontex, l’agence européenne des frontières, attribue cette baisse aux contrôles migratoires accrus au Maroc mais aussi en Mauritanie, principal pays de départ. Un durcissement qui fait suite aux accords conclus pour renforcer la lutte contre la migration irrégulière : l’un entre Madrid et Rabat, en février 2023, l’autre entre l’Union européenne (UE) et Nouakchott, en mars 2024, contre une aide de 210 millions d’euros. « Nous respectons nos engagements », rappelle un conseiller ministériel mauritanien.
Rien qu’au premier trimestre de cette année, 88 réseaux de passeurs ont été démantelés et plus de 30 000 migrants ont été interceptés par les autorités de ce pays d’Afrique de l’Ouest. Dès février, et pendant plusieurs mois, celles-ci ont procédé à une vaste campagne d’arrestations et de refoulements, une « répression » qui a été dénoncée, cet été, dans un rapport de l’ONG Human Rights Watch, accusant la Mauritanie de « graves violations » des droits des migrants.
Des morts par centaines
Côté marocain, la route des Canaries n’est pas la seule à s’être refermée : les autorités de ce pays contrôlent aussi les départs vers les Baléares et vers l’Espagne continentale. De plus en plus d’exilés sont ainsi poussés à tenter « l’aventure », comme ils disent, de l’Algérie. « Ainsi, on peut dire que le Maroc et la Mauritanie jouent véritablement leur rôle de garde-frontière de l’Europe. L’externalisation du contrôle des flux migratoires voulue par Bruxelles fonctionne, note Roberto Forin, directeur adjoint du Mixed Migration Centre, un réseau mondial de recherche indépendant. Mais il y a des conséquences à ce renforcement des frontières. »
Et celles-ci se mesurent déjà : s’agissant des Canaries, la traversée de l’Atlantique est devenue plus longue et plus risquée. « Pour échapper aux contrôles, les points de départ se déplacent de plus en plus vers le Sud, depuis le Sénégal, la Gambie et même la Guinée », constate Andrea Gallinal Arias, enseignante à Sciences Po Lille, spécialiste des politiques migratoires aux îles Canaries.
« On observe une réactivation de ces routes du Sud, déjà empruntées entre 2006 et 2008 avant qu’elles ne se tarissent, précise Delphine Perrin, chercheuse à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), spécialiste des politiques migratoires africaines, basée à Dakar. Celles-ci se déplacent en fonction des contraintes et des contrôles. » M. Forin ajoute, pour sa part, que « les passeurs se sont organisés et leurs réseaux se sont encore davantage professionnalisés pour proposer des départs depuis le Sénégal, la Gambie et la Guinée ».
L’Organisation internationale pour les migrations assure au Monde avoir également observé cette tendance mais n’est pas encore en mesure de pouvoir chiffrer le nombre de départs de ces zones du Sud. Elle dit « mettre en œuvre un suivi au plus près des flux basés sur ces routes ».
De la centaine de kilomètres qui séparent les côtes marocaines des Canaries aux 2 400 kilomètres depuis Conakry, les distances se sont étirées jusqu’à devenir vertigineuses pour certains migrants. « Ils passent encore davantage de jours en mer. Sept, parfois huit, voire dix », note Mme Gallinal Arias. Les forts courants de l’océan et les embarcations de fortune, souvent des pirogues de pêcheurs, rendent le voyage vers l’archipel espagnol particulièrement dangereux, quel que soit le point de départ.
Les interceptions au large se multiplient, les sauvetages aussi, comme le 30 novembre, où la marine mauritanienne a secouru 141 personnes – Sénégalais et Gambiens pour la plupart – non loin des rivages de Nouadhibou, dans le nord du pays. « Ces sauvetages sont devenus fréquents parce que les bateaux des migrants se perdent, explique le conseiller ministériel mauritanien. Presque chaque jour, nous retrouvons des corps sur nos plages. »
– (Le 11 décembre 2025)
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