– Jeudi 27 novembre, il est 23 h 45 lorsque le Mersin, un pétrolier qui mouille depuis deux mois à dix milles (19 kilomètres) des côtes sénégalaises, subit une avarie ; « quatre explosions externes », a précisé son armateur turc, Besiktas Shipping, lundi 1er décembre. Le navire battant pavillon du Panama a été gravement endommagé.
Face au risque de pollution qu’entraînerait le naufrage du pétrolier chargé de 39 000 tonnes de carburant au large de Dakar, les autorités sénégalaises se sont mises en état d’alerte. Le plan « Polmar » (contre les pollutions marines) a été déclenché et d’importants moyens ont été déployés. Des remorqueurs, un barrage antipollution et des navires de sauvetage se relaient autour du Mersin pour éviter toute fuite d’hydrocarbures, et un patrouilleur de la marine sénégalaise sécurise la zone. Les vingt-deux membres d’équipage du pétrolier, qui sont « en très grande majorité de nationalité turque », avaient été secourus « avant le lever du jour », vendredi, et ils ont été « évacués sains et saufs pour être traités à terre », a précisé au Monde le port autonome de Dakar.
« Le navire n’est pas en train de couler », rassurent les autorités portuaires, qui reconnaissent néanmoins que l’incident est « majeur ». « La situation est stabilisée depuis les premières heures et il est maintenu sous assistance permanente. Aucune nappe de carburant ne s’en échappe. Nos moyens de surveillance aériens et maritimes confirment l’absence de fuite d’hydrocarbures. Le dispositif de barrage antipollution déployé autour du Mersin reste une mesure de précaution proactive et n’est pas activé par la présence d’une nappe », ajoutent-elles. Le carburant doit être transbordé dans les jours qui viennent vers un navire sénégalais de la compagnie Touba Oil.
L’enquête préliminaire, dirigée par l’autorité de sécurité maritime du Sénégal (Hasmar), va devoir faire la lumière sur les « quatre explosions externes » signalées. Elle n’exclue aucune piste, y compris celle d’une attaque ukrainienne. « Il est prématuré de confirmer ou d’infirmer un scénario précis avant la conclusion de ce travail d’expertise », explique-t-elle. « Si l’explosion externe est confirmée, analyse un expert maritime en hydrocarbures ayant requis l’anonymat, la possibilité d’un accident est nulle. Ces pétrochimiquiers possèdent une double coque qui mesure entre deux et trois mètres avec des ballasts vides qui ne peuvent pas exploser. La proximité des côtes et la position statique du navire pendant deux mois, en ont fait une cible de choix », veut-il croire.
Une attaque ukrainienne dans l’Atlantique serait une première
L’enquête devra aussi lever le mystère sur les raisons de l’interruption de l’AIS (le système d’identification maritime) du Mersin, le 25 novembre à 16 h 14 d’après les données de suivi maritime, soit 31 heures avant l’alerte donnée par l’équipage aux autorités du Sénégal.
Lundi soir, plusieurs blogueurs militaires russes semblaient accorder le plus grand crédit au scenario d’une attaque ukrainienne, qui a été évoquée dans un premier temps par le média turc Deniz Haber, spécialisé sur les questions maritimes. Parmi eux, Alexandre Kots, expert militaire de la Komsomlskaïa Pravda, en tire la conclusion que Kiev aurait utilisé des navires civils pour amener sur zone des drones navals, « ceux-ci ne pouvant pas traverser les détroits » du Bosphore et des Dardanelles, sous contrôle de la Turquie. Pour lui, « cela crée une menace pour l’ensemble de la flotte militaire russe et non plus seulement pour celle de la mer Noire ».
Si elle était confirmée, une attaque ukrainienne en plein océan Atlantique et avec ce degré de sophistication opérationnelle constituerait une première. Jusqu’à présent, les drones navals développés par Kiev visaient des navires russes – quasi exclusivement militaires – seulement en mer Noire et en mer d’Azov.
Ces derniers jours, l’attaque de deux tankers appartenant à la « flotte fantôme » russe, au large des côtes turques, avait déjà suscité l’émoi côté russe, alors que Kiev multiplie les frappes visant à affaiblir les capacités de raffinage et d’exportation de pétrole de Moscou – et in fine sa capacité à financer la guerre en Ukraine. Cette « flotte fantôme » sert à la Russie à exporter des hydrocarbures en toute discrétion, en échappant aux sanctions décrétées par l’Occident. Les deux navires battant pavillon gambien, le Kairos et le Virat, eux-mêmes ciblés par des sanctions internationales, étaient en route pour le port russe de Novorossiïsk, situés au sud de celui de Taman. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a dénoncé, lundi, une « escalade inquiétante » de la part de Kiev, alors que la partie ukrainienne a revendiqué cette opération et diffusé des vidéos montrant ses drones Sea Baby en action.
« Ce serait un double signal envoyé à la Turquie et au Sénégal, de se désolidariser des intérêts russes, décrypte l’analyste maritime cité plus haut. Les Ukrainiens auraient eu toute latitude durant ces deux mois pour préparer une telle attaque avec un risque minimal pour la cargaison. »




