– « Nous étions en roue libre. Et nous ne pouvons pas être en roue libre. Aujourd’hui, nous devons ramener la religion dans le pays, et je pense que nous commençons à le faire, à un très haut niveau. » C’est en ces termes que le président américain, Donald Trump, tel un prédicateur, louait l’action du White House Faith Office à l’occasion d’un déjeuner organisé, le 14 juillet, par la structure. Créé le 7 février, ce « bureau de la foi » était jusqu’alors passé peu ou prou inaperçu parmi la kyrielle de décrets présidentiels.
L’entité est présentée par Donald Trump comme un levier essentiel : il ne s’agit ni plus ni moins que de garantir la prospérité des Etats-Unis en offrant à Dieu d’être « à nouveau accueilli dans l’espace public ». Après avoir échappé à une tentative d’assassinat, le 13 juillet 2024, le président ne pouvait pas mieux faire que d’instaurer ce bureau pour remercier la Providence et sceller son élection divine, comme il le déclara devant le Congrès, en mars : « Je crois que ma vie a été sauvée ce jour-là, à Butler [en Pennsylvanie], pour une très bonne raison. J’ai été sauvé par Dieu pour rendre à l’Amérique sa grandeur. » Une grandeur qui suppose de renouer préalablement avec la foi chrétienne, grâce au White House Faith Office.
Si le gouvernement se targue d’une initiative « historique » en la matière, ce n’est pourtant pas la première fois qu’un bureau consacré à la religion voit le jour au sein de l’administration américaine. Une démarche similaire avait été conduite par le président George W. Bush, avec la création, en 2001, des White House Faith-Based and Community Initiatives (« Programmes confessionnels et communautaires de la Maison Blanche »). Menés par des conservateurs défendant le fondement « judéo-chrétien » de la société américaine et la « loi naturelle » dictée par Dieu, ils entendaient donner un visage charitable au Parti républicain, incarnant la philosophie politique dite du « conservatisme compassionnel ».
Dans le sillage de George W. Bush
« Le but était de délester le gouvernement américain de tout un ensemble de responsabilités sociales, désormais prises en charge par des institutions intermédiaires qui seraient les Eglises », explique Philippe Gonzalez, sociologue spécialiste de l’évangélisme à l’université de Lausanne, en Suisse, et auteur de Que ton règne vienne. Des évangéliques tentés par le pouvoir absolu (Labor et Fides, 2014). L’opération n’est, du reste, pas exempte de prosélytisme : « Il s’agit de faire des convertis, et en même temps, des électeurs républicains. »
La structure a survécu à George W. Bush, et plus largement au « Grand Old Party », puisqu’elle a été maintenue par les présidents Barack Obama et Joe Biden sous le nom de White House Office of Faith-Based and Neighborhood Partnerships (« Bureau de la Maison Blanche pour les partenariats confessionnels et communautaires »). L’accent est alors mis sur la lutte contre la pauvreté par le dialogue entre des organismes religieux interconfessionnels et séculiers.
En outre, lors de son premier mandat, Donald Trump avait lancé, en mai 2018, la Faith and Opportunity Initiative (« Initiative pour la foi et l’opportunité »), afin d’aider les organisations religieuses à accéder plus facilement aux financements publics. Bien que la création du bureau de la foi par le président millionnaire ne se révèle donc pas si novatrice qu’il le prétend, la forme et la visée qu’il lui donne constituent, elles, une rupture majeure avec ses prédécesseurs.
Le changement de nom est, en cela, significatif : la mention des « partenariats » disparaît, et seule subsiste « la foi ». Preuve d’une réorientation explicite, selon André Gagné, professeur titulaire de théologie à l’université Concordia (Canada) : « Il ne semble plus y avoir autant de collaboration qu’avant avec les organisations laïques. Désormais, l’emphase porte davantage sur la religion. »
L’« évangile de la prospérité »
Certes, le décret présidentiel instituant le bureau de la foi exprime la volonté d’aider les « entités confessionnelles, organisations communautaires et les lieux de culte ». Toutefois, ce pluralisme affiché tranche avec la composition de la structure : « On n’a jamais vu autant d’évangéliques charismatiques [mouvement protestant qui interprète la Bible de manière littérale, en mettant l’accent sur les guérisons miraculeuses et les prophéties] dans un bureau d’Etat, souligne Philippe Gonzalez. La dimension interreligieuse n’est qu’une légère mise en scène, avec quelques acteurs juifs et catholiques acquis à la cause ultraconservatrice. »
Le dispositif est présidé par Paula White-Cain, conseillère spirituelle de Donald Trump et télévangéliste millionnaire, adepte d’exorcismes spectaculaires ou de pratiques peu orthodoxes. En témoigne une vidéo diffusée cette année, à l’approche de Pâques, dans laquelle la prédicatrice vendait « sept bénédictions surnaturelles » pour la modique somme de 1 000 dollars (869 euros) au minimum. Car cette pasteure est également une adepte de l’« évangile de la prospérité », qui prétend que l’aisance financière est un signe d’élection divine.
A ses côtés, une autre figure influente du cercle Trump : Jennifer S. Korn, assistante adjointe du président des Etats-Unis et directrice du bureau de la foi. Cette chrétienne évangélique est, à l’instar de Paula White-Cain, membre du National Faith Advisory Board (« Conseil national consultatif de la foi »), une vaste coalition religieuse sous influence évangélique, dont l’agenda ultraconservateur a renforcé la base chrétienne de Trump.
Mais Jennifer S. Korn est surtout une bureaucrate chevronnée. D’origine mexicaine, elle a été directrice des affaires hispaniques et féminines au bureau des relations publiques de la Maison Blanche, lors du premier mandat de George W. Bush (2000-2004), avant de jouer un rôle-clé dans le ralliement du vote latino-américain pour sa réélection en 2004. Républicaine convaincue et surtout fidèle parmi les fidèles de Trump, elle a exercé, lors de sa première mandature, une fonction analogue, en renforçant les liens entre l’administration et les communautés hispaniques ainsi que religieuses.
« Eradiquer les préjugés antichrétiens »
Les deux femmes érigent en étendard la mission du bureau de la foi : protéger la « liberté religieuse ». Si le concept constitue, de fait, un principe démocratique, il possède un sens particulier dans la perspective trumpiste. « Communément, il signifie que chacun devrait être libre en matière de religion, tant que cela ne nuit à personne, décrypte Julie Ingersoll, professeure en sciences des religions à l’université de Floride du Nord et spécialiste de l’évangélisme américain. Cependant, pour les nationalistes chrétiens, la liberté religieuse est le droit à ce que le christianisme conserve ses privilèges en tant que religion dominante. »
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