A El-Fasher, au Soudan, les paramilitaires tentent d’effacer les traces de leurs crimes

Les rescapés continuent d’arriver petit à petit de la grande ville du Darfour tombée, le 26 octobre, aux mains des paramilitaires des Forces de soutien rapide. Ils livrent des témoignages sur les massacres commis dans la localité.

Le Monde – « Les rues étaient jonchées de cadavres. Ils ont tué, oh oui, ils ont tué… Des enfants, des femmes, des hommes. Certains étaient écrabouillés sous des véhicules. C’était une vision d’horreur », confie Mariam (le prénom a été modifié), une habitante d’El-Fasher réfugiée dans la localité de Tawila, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de la capitale du Darfour du Nord, tombée, le 26 octobre, aux mains des Forces de soutien rapide (FSR).

Plus d’une semaine après l’ultime assaut des paramilitaires sur la ville, qui aurait fait plusieurs milliers de morts civils, sans qu’aucun bilan fiable ne puisse être établi, les témoignages arrivent au compte-gouttes, au rythme de la fuite des civils. Hormis les images tournées et diffusées par les hommes du général Mohammed Hamdan Daglo, alias « Hemetti », peu d’informations filtrent de la cité. Le Monde a pu collecter de nombreux témoignages – audios, vidéos et écrits – relayés par des sources indépendantes de Tawila.

« Ils ont aussi capturé des enfants… Des filles de 11 et 12 ans… Jusqu’à présent, nous ne savons pas où elles sont. Nous ne les avons pas retrouvées, pas même leurs corps », poursuit Mariam. Dans la nuit du samedi 25 au dimanche 26 octobre, après qu’un obus s’est écrasé sur sa maison, la famille s’est cachée dans un abri souterrain. Puis, aux alentours de 5 heures, alors que des soldats pénétraient dans les habitations, les unes après les autres, Mariam et ses proches ont sauté par-dessus le mur du voisin, avant de prendre la fuite vers le Nord.

Familles séparées

Arrêtés à un barrage des FSR, ils sont fouillés, dépouillés, interrogés et battus. « Ils nous ont tout pris, même nos vêtements », poursuit la mère de 28 ans. Après neuf jours de marche à travers le désert, portant ses enfants à bout de forces, se frayant un chemin sinueux pour échapper aux barrages tenus par les paramilitaires, elle est enfin parvenue à Tawila, aux pieds des montagnes du djebel Marra, sous le contrôle d’un groupe rebelle resté officiellement neutre, dans un conflit qui dure depuis avril 2023.

Selon les médecins sur place, les rescapés arrivent dans des états déplorables, souvent assoiffés, affamés. La plupart des enfants présentent de graves signes de sous-nutrition. « Nous sommes épuisés. Nous nous trouvons maintenant dans un endroit sûr, mais nos cœurs ne sont pas en paix. Nous n’avons pas pu retrouver nos maris. Nous ne savons pas s’ils sont morts ou vivants », se désole Mariam.

Les témoins sur place racontent que, à chaque nouvel arrivage de rescapés, une horde de femmes se ruent vers les derniers venus dans l’espoir d’y apercevoir le visage d’un père, d’un frère ou d’un fils. Comme Mariam, plus de 71 000 habitants d’El-Fasher ont quitté la ville depuis sa prise de contrôle par les FSR, selon l’Organisation mondiale pour les migrations.

Parmi eux, à peine 7 000 personnes sont parvenues à atteindre Tawila, à l’ouest ; environ 15 000 civils auraient trouvé refuge à Dabba, dans le nord du Soudan ; et quelques milliers se seraient déplacés dans l’est du Darfour. « Mais où sont passés les autres ? Ces chiffres sont infimes comparés à la masse de gens déplacés par les attaques. Où sont-ils ? C’est effarant ! », s’alarme Mathilde Vu, chargée de plaidoyer pour le Norwegian Refugee Council.

Selon l’ONG International Rescue Committee, au moins 170 mineurs non accompagnés auraient été accueillis à Tawila. Le Comité de coordination des déplacés et des réfugiés du Darfour dénombre, pour sa part, environ 750 orphelins. « D’après nos premières estimations, une famille sur neuf arrive avec des enfants qui ne sont pas les siens. Les familles ont été séparées par les combats, parfois aux checkpoints. Dans la panique, ils emportent des enfants dont les parents ont été tués, arrêtés ou ont disparu », poursuit Mathilde Vu.

Blanchir l’image de l’état-major

La quasi-totalité des rescapés arrivant à Tawila ont perdu la trace d’au moins un membre de leur famille. Si la plupart souhaitent garder l’anonymat, c’est par crainte de représailles contre leurs proches possiblement retenus par les paramilitaires, à El-Fasher ou dans divers camps de détention des FSR dispersés dans la campagne environnante.

S’ils n’ont pas été tués sur-le-champ, des centaines de civils ont été arrêtés aux barrages qui encerclent la ville. Sur de nombreuses vidéos, des hommes demandent sous la menace des fusils aux familles de payer des rançons – allant jusqu’à plusieurs milliers d’euros, devant être versés sur des applications de banque en ligne – en échange de leur libération. « C’est devenu un business. Désormais, les civils vivants valent plus que les civils morts », rapporte un travailleur humanitaire qui a requis l’anonymat.

Face à une avalanche de condamnations internationales, le général « Hemetti » a admis, dans un discours enregistré, que des « violations » avaient été commises par ses forces et a promis l’ouverture d’une commission d’enquête. Les forces paramilitaires ont affirmé avoir arrêté plusieurs de leurs combattants, notamment un commandant surnommé « Abu Lulu », incriminé par de multiples vidéos, qui a été placé en détention devant les caméras du groupe de paramilitaires.

Ces images de propagande ont été dénoncées par de nombreuses organisations soudanaises de défense des droits humains, outrées par ce qui apparaît comme une tentative de blanchir l’image de l’état-major des FSR, alors que le frère du général « Hemetti » lui-même, Abderrahim Daglo – qui, dans un discours, avait demandé à ses troupes de ne faire aucun prisonnier –, était à la tête de l’ultime assaut sur El-Fasher.

Fosses communes et charniers

Alors que la pression internationale s’accentue, les FSR et leur aile politique civile se sont lancées dans une contre-attaque médiatique. Par la voix de son porte-parole, le docteur Alaaeldin Nugud, l’alliance « Taasis », à l’origine d’un gouvernement parallèle affilié aux FSR dans la ville de Nyala, nie en bloc les accusations de crimes de masse à El-Fasher et se dit victime d’une campagne de désinformation.

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 (Le Caire, correspondance)

 

 

Source : Le Monde

 

 

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