– Avis de recrutement pour un imam à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). Profil souhaité : niveau bac + 5 ou équivalent, ayant déjà cinq ans d’expérience et parlant aussi bien le français que l’arabe. Il sera chargé de l’ouverture et de la fermeture de la mosquée, du discours du vendredi (jour de prière collective) ainsi que des cinq prières quotidiennes. Cela implique un travail en horaires décalés, notamment les week-ends et jours fériés – sans compter les temps d’échanges informels avec les fidèles. Le salaire : 2 000 euros brut par mois pour un CDI à temps plein, environ 1 500 euros net, soit un montant proche du smic (1 426 euros net) ou d’un ouvrier à temps plein.
Cette petite annonce, publiée fin août sur France Travail, fait partie des meilleures offres que peut espérer un dignitaire musulman en France – où la plupart des imams sont bénévoles. Elle reste toutefois au-dessous des salaires habituels à ce niveau de compétences : dans des conditions comparables, un cadre en entreprise gagne souvent de deux à trois fois plus.
Les principales religions en France semblent logées à la même enseigne : prêtres, pasteurs, rabbins… D’après le site Dataviz salaires – outil de visualisation des rémunérations conçu par l’Insee –, les ministres du culte, regroupés sous la catégorie « clergé séculier », percevaient 1 900 euros net en moyenne en 2023. Mais ce constat général masque un patchwork de situations variées. Abstraction faite du régime concordataire en Alsace-Moselle, où les ministres du culte sont payés directement par l’Etat, la vocation est plus souvent synonyme de sacerdoce – littéralement pour les uns, au sens figuré pour les autres.
« Honnête subsistance »
Dans l’Eglise catholique, l’ordination des prêtres les lie à leur évêque, lequel s’engage à assurer leur « honnête subsistance », selon le droit canonique. Concrètement, « il ne s’agit pas d’une rémunération mais d’une indemnité que le prêtre perçoit pour subvenir à ses besoins personnels, détaille la Conférence des évêques de France. Ses revenus tournent autour de 1 000 euros par mois ». En 2019, une enquête du journal Réforme évoquait une fourchette comprise entre 730 et 1 100 euros.
Cette indemnité modeste est compensée par des avantages en nature. La plupart des prêtres bénéficient d’un logement de fonction, dont ils paient seulement les charges courantes. Les déplacements liés à leur ministère donnent lieu à un remboursement forfaitaire, mais pas l’achat d’une voiture ou son entretien, par exemple. Les autres dépenses du quotidien, comme les repas, ne sont pas remboursées.
Enfin, si leur rétribution est imposable, ce n’est pas le cas des casuels – ces dons versés par les fidèles à l’occasion d’une célébration. Une exception fiscale comparable à celle des pourboires dans la restauration.
Moins centralisée, la situation des pasteurs est plus difficile à résumer. « Il n’existe pas de cadre unique », explique la Fédération protestante de France. Différentes unions d’Eglises rémunèrent leurs ministres, chacune selon ses règles et en fonction de ses moyens, « sans compter les petites Eglises dont les pasteurs ne vivent que de la générosité de leurs paroissiens ». Ainsi, deux des plus importantes unions présentes sur le territoire – l’Eglise protestante unie de France (EPUdF) et la Fédération des Eglises évangéliques baptistes de France (FEEBF) – ont adopté des systèmes complètement différents.
Augmentations automatiques
Dans l’EPUdF, c’est l’égalité qui prime. Un même traitement brut est versé « quel que soit le poste, qu’on vive dans une grande ville ou à la campagne, qu’on soit un pasteur de quartier ou un théologien », insiste Sophie Zentz-Amédro, secrétaire générale. En juillet 2025, cette indemnité s’élevait à 1 435,86 euros brut, à laquelle s’ajoutent des revalorisations automatiques liées à l’ancienneté. En fin de carrière, les pasteurs de l’EPUdF perçoivent un peu moins de 1 800 euros brut.
« Nous avons fait le choix de rémunérer entièrement nos ministres pour qu’ils soient à 100 % au service des fidèles », souligne Sophie Zentz-Amédro, rappelant que les pasteurs d’autres Eglises doivent souvent faire un métier à côté. Là encore, des avantages en nature complètent cette rétribution : logement et charges afférentes sont couverts. « C’est d’ailleurs une limite involontaire à notre principe d’égalité, relève la secrétaire générale. Un appartement parisien n’a pas la même valeur qu’un logement en zone rurale. Le coût de la vie peut aussi être extrêmement variable. » Pour l’heure, il n’est cependant pas envisagé d’adapter les rémunérations aux conditions de vie locales.
Au sein de la FEEBF, la rémunération des pasteurs repose sur un modèle plus décentralisé. Les Eglises sont des associations locales, constituées sous la loi de 1905 – spécifique aux « associations cultuelles », contrairement à la loi de 1901. « Chacune est déclarée en préfecture et rémunère directement son pasteur, explique Etienne Linkowski, responsable national de la fédération. Il n’y a pas de pot commun géré par une instance nationale. » La FEEBF propose toutefois une grille indicative : 1 600 euros brut la première année, avec une progression régulière pour atteindre 2 400 euros brut au bout de quarante années d’exercice. A cela s’ajoute le logement.
Coût de la vie
Outre le christianisme, les ministères des grandes religions présentes en France font face aux mêmes problématiques. Dans le judaïsme consistorial, majoritaire, les rabbins sont salariés par les communautés locales, également constituées en associations loi de 1905 et rattachées à des consistoires régionaux. « Tout repose sur les dons privés des fidèles, explique le cabinet du grand rabbin de France. Chaque communauté fixe le niveau de rémunération selon ses possibilités. Il n’y a pas de barème fixe ou national. »
C’est pourquoi le cabinet ne peut pas fournir une estimation moyenne des salaires. Si l’on s’appuie sur les rares données de l’Insee et l’enquête du journal Réforme, ces rémunérations pourraient être situées entre 1 000 euros et 2 000 euros brut par mois.
« Il y a d’importantes disparités d’une communauté à l’autre, poursuit le Consistoire central israélite de France. Par exemple, il y a plus de donateurs dans les grandes villes, et donc de meilleures rémunérations. Néanmoins, le coût de la vie est aussi plus important. » A l’inverse, si les communautés de petites villes ont moins de moyens financiers, elles obtiennent plus facilement un logement à la disposition du rabbin.
Bref, les rabbins ne roulent pas sur l’or, insiste le cabinet, qui constate une « crise des vocations ». Les faibles rémunérations n’y sont probablement pas étrangères. Beaucoup de ministres doivent compléter leurs revenus par un autre travail en parallèle, ou compter sur les revenus de leurs conjoints.
Du bénévole au salarié détaché
La situation des imams est peut-être la plus hétérogène. Dans l’islam sunnite, courant majoritaire en France comme dans le monde, il n’existe pas d’autorité centrale. La fonction d’imam repose d’abord sur la reconnaissance d’une communauté, ce qui explique des parcours très divers, de l’autodidacte formé dans sa mosquée locale à l’islamologue ayant étudié plusieurs années en France ou à l’étranger.
Selon le politiste Franck Frégosi (dans Le Statut des ministres du culte musulman en France, dirigé par Francis Messner, Presses universitaires de Strasbourg, 2021), plus de la moitié des quelque 2 200 dignitaires recensés en France sont bénévoles. « Les autres imams (de 700 à 800 personnes) sont soit des salariés à temps complet d’une association en charge de la gestion d’un lieu de culte et perçoivent donc un salaire mensuel, une rémunération fixe, soit ils agissent comme imams à temps partiel, et sont dans ce cas simplement défrayés chaque fois qu’ils président une prière ou une solennité religieuse. »
La rémunération moyenne de ces imams salariés est d’environ de 1 000 à 1 200 euros par mois. D’autres encore reçoivent essentiellement des dons en espèces, lorsqu’ils ont été sollicités pour une prière ou une cérémonie particulière.
A cela s’ajoute l’ancien statut « d’imam détaché », une singularité parmi les religions en France. A partir des années 1980, la France a mis en place des dispositifs avec l’Algérie, la Turquie et le Maroc, pour pallier le manque de ministres des cultes musulmans sur son territoire. En 2018, ils étaient environ 300 en France originaires de ces pays.
A la Grande Mosquée de Paris par exemple, « les imams algériens étaient des fonctionnaires détachés quatre ans en France, rémunérés par le ministère algérien des affaires religieuses via leur ambassade de 2 400 à 2 700 euros par mois, détaille le directeur général Mohammed Louanoughi. Ils cotisaient pour leur retraite en Algérie et disposaient de la couverture sociale assurée par leur pays d’origine. » Si la durée était en principe limitée, un renouvellement restait possible. D’après l’enquête de Réforme, les imams turcs percevaient des revenus similaires, tandis que les dignitaires marocains étaient payés environ 1 250 euros, directement par leur Etat.
Aujourd’hui, ce dispositif est en voie de suppression. Le président Macron a demandé que les imams détachés deviennent salariés d’une association cultuelle française et non plus fonctionnaires de leur pays, ou bien qu’ils quittent le territoire.
La Grande Mosquée de Paris a cherché des compromis, proposant, par exemple, de salarier elle-même des imams à hauteur de 2 200 euros, puis de les mettre à disposition des associations. « Mais le ministère de l’intérieur préférerait que chacune devienne l’employeur direct », regrette Mohammed Louanoughi, rappelant que « la plupart des mosquées n’ont pas les moyens de rémunérer un imam, tandis que la Grande Mosquée de Paris a la capacité de coordonner l’activité des imams à l’échelle nationale ». Les discussions sont toujours en cours.
La tradition à l’épreuve de la modernité
Enfin, la France compte environ un million d’adeptes du bouddhisme et à peu près 300 temples dédiés, mais l’engagement des responsables religieux n’est pas rémunéré. « La tradition du monachisme bouddhique est un ordre mendiant et itinérant, rappelle Jigmé Thrinlé Gyatso, né Yves Boudéro, coprésident de l’Union bouddhiste de France (UBF). Il s’agit souvent de bénévoles, qu’ils soient retraités ou exerçant un métier à côté pour subvenir à leurs besoins. »
Il existe différentes catégories : d’une part, les moines et moniales qui vivent ensemble dans une communauté religieuse et sont pris en charge par elle, « par exemple des communautés zen Soto, japonaises, et vietnamiennes, ou d’autres en France ». Certains vivent dans leur habitat propre et exercent la plupart du temps un métier en parallèle.
« Les aumôniers bouddhistes intervenant en milieu carcéral et hospitalier, qui pour la plupart sont des pratiquants laïques bénévoles, exercent ou ont exercé, par ailleurs, un métier pour subvenir à leurs besoins », poursuit Jigmé Thrinlé Gyatso.
Comme l’explique le moine Olivier Wang-Genh dans un article sur « Le statut des personnels de la religion bouddhique », la subsistance repose sur le principe bouddhiste de « moyens d’existence justes » : un équilibre entre simplicité volontaire, dépendance à la communauté et adaptation au cadre social. Sur le terrain toutefois, la réalité bouddhiste française reste une « mosaïque » de traditions et de pratiques.
Retraite, chômage…
Si, avec la loi de 1905 sur la laïcité, l’Etat a cessé de rémunérer les ministres des cultes reconnus, il n’en a pas pour autant fait une profession comme les autres. « Les rapports entre un ministre du culte et son autorité religieuse échappent au droit du travail et les tribunaux se sont toujours déclarés incompétents pour en juger », résume un article du site Vie-publique.
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