
– Au Cameroun, lundi 13 octobre au matin, aucun chiffre officiel, pas même celui de la participation à l’élection présidentielle, n’était disponible. Mais à Garoua (Nord), la ville d’Issa Tchiroma Bakary, principal opposant au président, Paul Biya, tous les espoirs étaient permis après les dépouillements, qui se sont poursuivis tard dans la soirée de dimanche.
Durant toute la journée de vote, les militants ont suivi les consignes de l’opposition les priant de surveiller attentivement les opérations. Les agents électoraux et les scrutateurs des partis ont terminé le décompte des bulletins de vote à la lueur des torches électriques, avant de retourner procès-verbaux, urnes et matériels de vote au siège local d’Elections Cameroon (Elecam), l’institution chargée de la logistique du scrutin et de la centralisation des résultats. « Ce qui compte n’est pas tant les gens qui votent mais ceux qui comptent les votes », expliquait Issa Tchiroma Bakary dimanche.
Présenté comme le principal challengeur de Paul Biya, 92 ans (dont quarante-trois à la tête du pays), qui brigue un huitième mandat, il fut longtemps son ministre avant de démissionner en juin, renouant ainsi avec son statut d’opposant qu’il avait à l’origine de sa longue carrière politique. Il bénéficie depuis plusieurs semaines d’une ferveur populaire qui, il le concède, le « surprend » lui-même. Dimanche après-midi, il a pu avoir un avant-goût de l’engagement de certains de ses partisans face aux cordons policiers.
Tensions
Car si globalement ce scrutin à un tour s’est déroulé « sans incident majeur sur l’ensemble des 360 communes » du pays, selon le ministre de l’administration territoriale, Paul Atanga Nji, à Garoua, des tensions sont apparues avant même la clôture du vote.
Dans l’après-midi, le convoi du candidat a soudain été bloqué par les forces de sécurité sur la route menant au village de Nassarao. « On partait vérifier des informations sur des bourrages d’urnes quand ils nous ont ordonné de rentrer au domicile de Tchiroma », confie l’un des passagers. Un peu plus loin, d’autres policiers ont de nouveau stoppé les quelques véhicules. « Ils lui ont “proposé” de monter dans un blindé, prétendument pour sa propre sécurité et pour le raccompagner chez lui », raconte un membre de son entourage. Mais par la fenêtre ouverte de son 4 × 4 blanc, Issa Tchiroma Bakary se sentait davantage « la cible du pouvoir ».
En un clin d’œil, militaires, policiers et gendarmes ont essuyé pendant de longues minutes une pluie de pierres les obligeant à reculer, avant de disperser cette foule par de puissants jets d’eau. Le véhicule d’Issa Tchiroma Bakary a fini par s’éclipser dans le brouillard des grenades fumigènes. Après une nuit sans que l’on ne sache où il se trouvait, l’opposant a pu regagner lundi matin son domicile, surveillé par une cinquantaine de ses partisans. Les forces de l’ordre n’étaient plus visibles.
Mise en garde
N’est-ce qu’un feu de paille, une anicroche ou le prélude d’un processus électoral qui se jouerait finalement dans les rues d’un Cameroun défiant le pouvoir vieillissant de Paul Biya ?
Lors de la précédente élection présidentielle, en 2018, le leader de l’opposition, Maurice Kamto, avait, en vain, dénoncé une fraude qui, il en était persuadé, l’aurait privé de sa victoire. Ses protestations l’avaient finalement conduit non pas au palais présidentiel, mais en prison pour quelques mois. Quelle sera la stratégie de l’opposant à Paul Biya ? « Toute la nation aspire au changement après quarante-trois ans de règne. Le peuple doit s’impliquer dans cette construction et faire éclater la vérité des urnes », nous disait l’opposant samedi. Quant au pouvoir, face à cet adversaire imprévu, « il devra peser ses mots pour ne pas enflammer la rue », nous confie, de Yaoundé, un observateur averti.
Quelques instants après la fermeture des bureaux de vote, le ministre de l’administration territoriale – équivalent du ministre de l’intérieur – a renouvelé sa mise en garde contre « ceux qui ont l’intention de publier des résultats sur des plateformes illégales » avant la proclamation officielle, prévue au plus tard le 26 octobre par la Cour constitutionnelle. Mais dans le camp d’Issa Tchiroma Bakary, la tentation devenait grande de braver l’interdit face à une machine électorale à laquelle il n’accorde guère de crédit.
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