
Slate – Après avoir longtemps vécu au Canada, je suis rentré en France, voilà deux ans. Bilan : la bouffe y est bien meilleure, la protection sociale aussi, les femmes plus élégantes, l’offre culturelle plus variée, mais il existe un gros point noir, l’humeur des Français en général. Aujourd’hui encore, je peux être choqué ou plutôt amusé par la manière très particulière d’être accueilli, fût-ce au restaurant ou dans une quelconque administration.
Comme si, à la suite de je ne sais quels désagréments ou traumatismes, le peuple français avait décidé que la meilleure façon de se comporter dans la vie était de faire la gueule. D’être sinon désagréable, du moins indifférent à ce qui peut bien vous arriver. De toujours afficher une sorte de mauvaise humeur chronique, une incapacité à sourire ou à se montrer agréable. Peu importe ce que vous cherchez, ce que vous demandez, vous avez toujours une forte probabilité que votre interlocuteur en prenne ombrage ou donne l’impression d’être dérangé dans ses occupations.
Combien de fois dans un restaurant, lieu convivial par excellence où je vais pourtant rarement, ai-je eu cette impression que je dérangeais. Du simple marchand de gaufres à l’établissement un peu plus réputé, la réception est souvent hostile, à peine polie. On vous attribue une table comme si on vous accordait une faveur inestimable. On prend votre commande d’un air ennuyé. On vous sert sans entrain, on vous apporte une carafe d’eau avec la même allégresse qu’un croque-mort vous met en bière, on vous encaisse mollement, sans jamais donner l’impression d’avoir été réjoui par votre venue.
Ce n’est évidemment pas vrai partout, mais assez fréquent pour être souligné. Adressez-vous à n’importe quelle administration, la première prise de contact ressemble à celle du bourreau qu’on viendrait réveiller en pleine nuit pour procéder à une exécution, une brusquerie telle qu’on en arrive à se demander si on n’est pas rentré par erreur dans un bouge clandestin surveillé de près par la police.
La France, ce n’est rien de le dire, n’a pas vraiment la culture de l’accueil. Elle ne sait pas recevoir ses hôtes, touristes comme administrés en quête d’information. Comme si chaque personne en contact avec le public souffrait d’une crise d’hémorroïdes si aiguë que le moindre dérangement la mettait au supplice. Au téléphone, on vous rembarre avec fracas; en personne, on vous répond avec un agacement prompt à la moindre incartade à se transformer en énervement, voire en hérissement, si jamais vous avez le malheur de n’être pas satisfait de la réponse apportée.
Est-ce que les gens sont si peu satisfaits de leurs conditions de travail qu’ils affichent en toutes occasions une sorte de fatigue, proche de l’exaspération? Aiment-ils si peu ce qu’ils font qu’ils cherchent à vous le faire payer par tous les moyens possibles? Leur salaires sont-ils si bas qu’ils considèrent que pour une somme pareille, c’est déjà un miracle s’ils ne vous congédient pas avec un coup de pied aux fesses ?
Ou bien s’agit-il de raisons plus profondes, d’un mal-être qui finirait par être constitutif de la nation française, un désespoir si tenace que dès la naissance, il s’attaquerait aux âmes des individus pour ne plus jamais lâcher prise? Est-ce donc la France tout entière qui souffrirait d’un mal mystérieux, d’un désenchantement si généralisé qu’il finirait par déteindre sur toutes les couches de la société, mélancolie atavique dont nul ne pourrait se détacher?
Cette fameuse colère dont on a encore eu un aperçu ce mercredi, cette méfiance, cette détestation des élites, des journalistes, des politiques, cette insatisfaction chronique propre à la France, vient-elle du fond des âges –un grognement présent à toutes les étapes de son histoire– ou bien résulte-t-elle de circonstances plus contemporaines, d’un ressenti qui serait celui d’une France inadaptée aux enjeux de son époque, dépassée par l’accélération de l’histoire?
Étant moi-même perpétuellement énervé, indigné, à deux doigts de me rompre face à la bêtise galopante du monde, je suis évidemment mal placé pour donner des leçons de morale ou de savoir-vivre. Il n’empêche, face à ce désastre qu’est ma vie, je préfère en sourire que d’en pleurer. Sourire, voilà ce qui manque à ce pays. Au lieu de vous dire bon courage comme le font désormais nombre de commerçants au moment de partir, ne pourraient-ils pas simplement sourire, en vous souhaitant une bonne journée ?
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