A Dakhla, au Sahara occidental, le Maroc intensifie sa politique de grands travaux

La deuxième ville de ce territoire, disputé entre le royaume chérifien et le Front Polisario, est devenue une cité touristique réputée pour ses spots de kitesurf et l’objet d’une intense modernisation impulsée par le Maroc.

Le Monde – Dans le hall d’accueil du centre régional d’investissement de Dakhla, au Sahara occidental, Nabil Ameziane se confond en excuses, le rendez-vous tombe au plus mauvais moment. Le chef de la division offre, promotion et attractivité territoriale du centre, pourtant habitué à vanter les atouts de cette région qualifiée par l’Organisation des Nations unies (ONU) de « territoire non autonome » ayant vocation à l’autodétermination, doit élever la voix pour couvrir le bruit des engins de terrassement. L’accès au bâtiment n’est pas chose facile non plus. Il a fallu contourner la tranchée qui barre l’accès à cette bâtisse de deux étages en plein centre-ville, puis enjamber les trottoirs déformés par le va-et-vient des tractopelles.

En ce mois de juillet, Dakhla est un immense chantier à ciel ouvert, balayé par le vent sableux du désert et les nuages de poussière des machines. Un vaste casse-tête aussi pour les chauffeurs de taxi, obligés de se frayer un chemin sur les rares tronçons asphaltés. La population semble s’en accommoder, espérant que ces travaux aboutissent à la modernisation du réseau d’eau potable de la deuxième ville la plus peuplée du Sahara occidental (165 000 habitants), après Laâyoune (260 000 habitants), plus au nord.

L’ancienne cité espagnole, annexée par la Mauritanie après les accords de partition du Sahara occidental, scellés en 1975 entre Madrid, Rabat et Nouakchott, puis occupée par le Maroc, poursuit la mue qu’elle a entamée au mitan des années 2000. La petite ville de garnison et de pêcheurs prend alors conscience que sa lagune offre des conditions optimales à la pratique du kitesurf : une mer peu profonde, des températures clémentes toute l’année, une topographie favorisant les vents forts et constants. Avec l’arrivée des kiters, Dakhla se dote d’une image de carte postale, entre désert et océan.

Station de dessalement

« En 2005, la ville se résumait à une route principale, très peu de constructions en dur, quelques restaurants et ce spot vierge et magnifique », retient Mireille Malbos de son premier passage. Cette Française spécialisée dans l’hôtellerie et le tourisme finit par s’y installer en 2014. Un an plus tard, le discours prononcé par le souverain Mohammed VI à l’occasion du 40e anniversaire de la « marche verte » – le cortège pacifique de 350 000 Marocains venus, en 1975, prendre possession du Sahara occidental sur l’ordre du roi Hassan II (1961-1999) –, confirme les ambitions du royaume pour les « provinces du Sud », le vocable par lequel les autorités désignent les régions de Guelmim, de Laâyoune et de Dakhla.

Un plan de 77 milliards de dirhams (7,2 milliards d’euros) leur a été alloué sur la période 2016-2021. « Les infrastructures jugées prioritaires pour Dakhla comprenaient notamment le raccordement au réseau électrique national, la réalisation d’une voie express de plus de 1 000 kilomètres entre Tiznit et Dakhla, la construction d’un port et celle d’une usine de dessalement, énumère Nabil Ameziane. Le réseau électrique est opérationnel depuis 2021, l’autoroute a été achevée début 2025, le port le sera en 2028. » « Plus de la moitié des projets du plan ont été réalisés, et le budget initial a été réévalué à 87,5 milliards de dirhams », affirme-t-il.

La station de dessalement, quant à elle, devrait entrer en service fin décembre, peu de temps après les commémorations, en novembre, du 50e anniversaire de la « marche verte ». L’installation prévoit de produire 37 millions de mètres cubes d’eau par an, dont 80 % alimenteront un futur périmètre agricole de 5 200 hectares et les 20 % restant les besoins de Dakhla. C’est pour remplir cette deuxième mission, impliquant le remplacement de toutes les canalisations actuelles, que sont engagés des travaux de voirie sans précédent.

Sur le chantier de construction de l’usine de dessalement, dans les environs de Bir-Anzarane, dans le Sahara occidental, le 26 mai 2025.

 

Le raccordement suppose aussi d’enfouir ces conduits sur 134 kilomètres, la distance qui sépare la ville de l’usine de dessalement confiée au groupe marocain Nareva, propriété de la holding royale Al Mada, et son partenaire français Engie. Deux heures de route sont nécessaires pour rejoindre le site de Bir-Anzarane à travers un paysage rectiligne et caillouteux, qui échappe à la monotonie par la présence de quelques villages de pêcheurs et la traversée de troupeaux de dromadaires.

« Dans cette zone, les terres sont naturellement fertiles, on prévoit de produire 415 000 tonnes par an de fruits, de légumes et de fourrages », explique Khalid Gazzali. Le responsable technique du complexe pour le ministère de l’agriculture assure qu’il s’agit d’un « projet inédit et colossal », qui intègre à la fois une unité de dessalement, des surfaces irriguées et un parc éolien déjà en service, qui fournira l’usine en électricité.

Offensive diplomatique

A la fin de la visite, un employé préférant rester anonyme invite à s’éloigner du groupe. « Si le Maroc n’était pas là, on aurait qui ? Le Front Polisario, financé par l’Algérie, ou la Chine, alliée à la Russie et ses paramilitaires de l’Africa Corps ? », assène-t-il. Le Maroc est solidement implanté dans ce territoire vaste de 266 000 kilomètres carrés qu’il contrôle à plus de 80 % à l’ouest, contre moins de 20 % à l’est pour le Front Polisario. Cette emprise ne se résume ni aux forces armées déployées le long du mur de sable qui sépare les deux belligérants ni aux checkpoints jalonnant les axes routiers.

Elle s’illustre aussi par l’offensive diplomatique menée par Rabat pour rallier des soutiens à son projet de plan d’autonomie pour le Sahara occidental. Le 30 juillet 2024, Emmanuel Macron a ainsi rendu publique une lettre à Mohammed VI, dans laquelle il affirme que « le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Elle s’incarne enfin dans une politique d’investissements massifs, avec l’objectif de transformer les « provinces du Sud » en nouvel eldorado pour le royaume chérifien.

 

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  (Dakhla, Sahara occidental, envoyé spécial)

 

 

 

Source :  Le Monde

 

 

 

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