SEUL LA VÉRITÉ DÉRANGE / Par SY Mamadou

Biram a dit : « en Mauritanie on tue selon la couleur de peau ou l’ethnie ». Depuis sa déclaration à Bruxelles, une curieuse effervescence a saisi ceux qui, d’ordinaire, se taisent. Ceux qui n’ont jamais élevé la voix contre les injustices flagrantes, qui n’ont jamais critiqué les dérives du régime, qui n’ont jamais dénoncé l’exclusion, le racisme, la corruption ou la confiscation des droits. Ceux qui n’ont jamais eu le courage de s’indigner quand, treize années durant, on a refusé à Biram la reconnaissance d’un parti politique. Ceux-là, soudainement, se découvrent une vocation : ils crient au scandale, ils fabriquent des vidéos, des audios, des écrits, pour prétendre défendre l’« image » de la Mauritanie. Quelle ironie ! Où étaient-ils quand des centaines de Mauritaniens noirs ont été massacrés, torturés et exilés ? Où étaient-ils quand la jeunesse a pris le chemin de l’océan au péril de sa vie ? Où étaient-ils quand les paysans spoliés et les travailleurs exploités réclamaient justice ? Où étaient-ils quand des militants étaient embastillés pour leurs opinions, et quand des communautés entières étaient réduites au silence par la peur et l’oppression ?

Aujourd’hui, ces silencieux professionnels — devenus soudain bavards — ne s’indignent pas des faits. Ils ne contestent pas l’injustice. Ils ne s’élèvent pas contre la négation des droits. Non. Leur indignation sélective s’active uniquement lorsqu’il s’agit de s’en prendre à un homme : Biram. Ils n’ont d’autre obsession que de réclamer contre lui le pire, oubliant que les faits, eux, restent têtus. Et ces faits sont simples : • Depuis treize ans, on lui refuse arbitrairement un parti politique, violant ses droits civiques et politiques les plus élémentaires.

Depuis des décennies, la Mauritanie refuse d’assumer son histoire de sang et d’exclusion. • Depuis toujours, les véritables atteintes à l’image du pays viennent de l’injustice, du racisme institutionnalisé, de l’impunité, et non de ceux qui dénoncent ces maux. Alors, que vaut une prétendue « défense de l’image » si elle repose sur le mensonge, le déni et la calomnie ? Que vaut un patriotisme qui se nourrit de la haine d’un homme plutôt que de l’amour de la justice ? Ceux qui se taisent devant l’essentiel mais s’agitent devant l’accessoire sont complices. Leur indignation est une farce. Leur patriotisme est une imposture. Et leur croisade contre Biram, une diversion.

L’histoire retiendra les faits, pas leurs cris. Liste (non exhaustive) des victimes noires mortes sous la torture ou exécutées par l’État mauritanien (1989-1991) 1. Militaires exécutés au camp d’Inal (28 novembre 1990) 28 officiers et sous-officiers négro-mauritaniens pendus parce qu’ils étaient noirs. Parmi eux : • Capitaine Samba Diagana • Capitaine Niang Ibrahima • Lieutenant Sy Samba • Adjudant Ba Mamadou Lamine • Sergent Bathily Mamadou • Sergent Sow Amadou • Lieutenant Diagana Sidi • Sous-lieutenant Diallo Amadou • Lieutenant Gaye Mamadou (liste complète disponible dans les archives d’Inal, souvent publiée par les collectifs de veuves et orphelins) 2. Morts dans les casernes (Kaédi, Jreïda, Aleg, Ouadane) Arrêtés et exécutés sommairement parce qu’ils étaient noirs : • Sy Oumar, officier, mort sous torture à Aleg (1991). • Diallo Ciré, instituteur, arrêté et mort en détention à Kaédi. • Sow Hamath, officier, tué à Ouadane. • Ba Yaya, sous-officier, torturé à mort dans une caserne de Rosso. Victimes civiles mortes dans les commissariats (1989-1990) Pendant la crise mauritano-sénégalaise, des centaines de civils noirs ont été raflés.

Beaucoup sont morts dans les commissariats : • Sy Hamath, commerçant, décédé au commissariat central de Nouakchott. • Diagana Amadou, enseignant, mort en détention à Rosso. • Barry Samba, jeune étudiant, mort sous la torture à Boghé. • Sall Mamadou, paysan, décédé après des coups dans un commissariat de Kaédi. Disparus sous la torture (jamais rendus aux familles) Ces hommes ont été arrêtés par la police ou la gendarmerie et n’ont jamais réapparu : • Diawara Moussa • Sy Amadou • Bathily Samba • Wane Mamadou Analyse politique • Ces crimes n’ont pas été commis « par erreur » mais sur des bases raciales : les victimes avaient en commun d’être négro-mauritaniennes (Pulaar, Soninké, Wolof). • Les autorités de l’époque ont parlé de « complot » ou de « trahison », mais jamais présenté de preuves. • L’absence de justice et de reconnaissance officielle montre que l’État a institutionnalisé le racisme d’État. Liste (à partir de 2023) 1. Boumeny / Souvi Ould Jibril Ould Cheine (dit « Souvi ») • Date : 9–10 février 2023 • Lieu : Commissariat / hôpital de Dar-Naim (Nouakchott) • Circonstances : Arrestation puis décès en détention. Les enquêtes (CNDH, Commission africaine, médias, ONG) ont conclu à des mauvais traitements ; l’autopsie a relevé fracture du cou/strangulation et la famille a dénoncé la torture. Plusieurs policiers et responsables ont été poursuivis dans la foulée. • Sources : Commission africaine (communiqué), rapport CNDH, articles RFI/IDEA/Peoples Dispatch. 2. Oumar Diop • Date : nuit du 28–29 mai 2023 • Lieu : Commissariat de Sebkha → hôpital (Nouakchott) • Circonstances : Mort peu après une garde à vue. Les autorités ont d’abord évoqué un malaise lié à des substances, tandis que la famille et des ONG ont dénoncé des traces de mauvais traitements et ont demandé justice ; une autopsie externe et des expertises ont été publiées (différends entre conclusions).

La mort a déclenché manifestations et colère publique. • Sources : RFI, TV5Monde, Amnesty, ACAT, articles locaux et rapports d’enquête. 3. Mohamed Lemine Ould Samba • Date : 30 mai 2023 • Lieu : Boghé (Brakna) • Circonstances : Tué par balle lors d’une manifestation de solidarité après la mort d’Oumar Diop. Témoignages locaux et familles indiquent qu’il a été abattu lors d’affrontements avec les forces de l’ordre ; la famille a signalé pressions et difficultés pour l’inhumation. • Sources : reports locaux (Cridem, Le Quotidien), médias internationaux et organisations de défense. 4. (Collectif) Trois personnes — morts en détention après répression post-électorale • Date : 1–2 juillet 2024 (annonce publique le 2 juill. 2024) • Lieu : Kaédi (région de Gorgol) — centres de détention / hôpitaux • Circonstances : À la suite d’arrestations massives lors de manifestations post-électorales, le ministère de l’Intérieur a reconnu que trois personnes sont décédées (deux en détention, une en hospitalisation). Les médias internationaux et locaux ont couvert l’événement ; les noms précis n’ont pas été publiés systématiquement dans les dépêches initiales. Enquêtes et réactions d’ONG ont suivi. • Sources : Reuters, The Guardian, Le Monde, Africanews (communiqués et dépêches).

Abus documentés sans nomination individuelle Dans le rapport Human Rights Watch (août 2025) sur la période 2020-mi-2025, 78 personnes (dont un Mauritanien et 77 migrants africains) ont subi torture, violences physiques allant jusqu’au viol, conditions de détention délétères, expulsions collectives. Plusieurs personnes seraient mortes en garde à vue ou suites à ces traitements. Ces formes d’abus, souvent racialisées à l’encontre de Noirs, n’ont pas systématiquement été suivies de signalements de décès individuels identifiés publiquement. • Source : HRW, “They Accused Me of Trying to Go to Europe”

Mes oncles sont ravis que le monde entier soutienne Gaza et dénonce les massacres à juste titre. Ils se réjouissent de voir la planète entière indignée, mobilisée, debout pour dire « non » à l’injustice et à l’oppression. Mais, paradoxe troublant : quand il s’agit de dénoncer nos propres turpitudes, nos humiliations quotidiennes à Rosso Sénégal, ou à Kayes, voir Paris ou Bruxelles, nos discriminations internes, alors là, tout change. C’est la fin du monde. C’est un crime contre la Mauritanie. Celui qui dénonce en Mauritanie est immédiatement emprisonné, réduit au silence par la répression. Celui qui dénonce à l’étranger est aussitôt traité de traître, accusé de salir l’image du pays. En somme, on ne doit pas parler, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur.

La vérité est interdite, le mensonge est sacralisé. C’est une logique ubuesque, presque théâtrale, dans ce « village planétaire » où les injustices circulent en temps réel et où les frontières ne protègent plus les oppresseurs de la lumière. Comment peut-on applaudir la dénonciation des crimes ailleurs et interdire la dénonciation des nôtres ? Comment peut-on se revendiquer solidaires des victimes du monde entier tout en refusant la moindre solidarité envers nos propres victimes, ici et maintenant ? C’est là le cœur de notre contradiction nationale : nous aimons crier contre l’injustice universelle, mais nous détestons voir le miroir de notre propre injustice….Wetov.

 

 

SY Mamadou

 

 

(Reçu à Kassataya.com le 02 septembre 2025)

 

 

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