
– Craignant pour sa sécurité, ce journaliste palestinien a requis l’anonymat. Depuis Gaza, où « accéder à l’eau, trouver de la nourriture sont des missions impossibles », il est « les yeux et les oreilles » de plusieurs médias français – qui, comme leurs confrères du monde entier, sont interdits d’accès au territoire assiégé. « Bien que je continue à faire mon travail, ce qui me permet de conserver décence et dignité, ma vie est désespérante, explique le reporter au Monde dans un message vocal déposé sur la messagerie WhatsApp. Mais mon devoir est de prêter ma voix à ceux qui sont sans voix. De continuer à être un journaliste objectif, indépendant, et de porter un message de paix. » Il ne le dit pas trop fort, mais il est épuisé. Il rêve d’être emmené, avec sa famille, « loin de ce conflit insupportable ». Il estime avoir le droit à une vie qui ressemble à une vie, et non à une fuite éperdue devant la mort.
« Au rythme où les journalistes sont tués à Gaza, il n’y aura bientôt plus personne pour vous informer », rappelle le message de l’ONG Reporters sans frontières (RSF) et du mouvement citoyen mondial Avaaz, que devaient reprendre 180 médias de 50 pays, lundi 1er septembre, certains ayant choisi d’arborer des unes ou des bannières noires, d’autres de diffuser une déclaration commune pour protester contre « le meurtre de journalistes à Gaza ».
En parallèle, les sociétés des journalistes de 43 rédactions françaises, dont la Société des rédacteurs du Monde, se sont jointes à la mobilisation de RSF et demandent l’ouverture de l’enclave palestinienne aux journalistes internationaux.
Combien sont-ils encore, les journalistes palestiniens qui continuent d’informer le monde sur la situation à Gaza sans que les morts, les destructions, les exactions, les déplacements de population et maintenant la famine, déclarée par l’Organisation des Nations unies le 22 août mais contestée par Israël, qu’ils documentent quotidiennement, ne provoquent de réaction décisive pour y mettre un terme ? La Fédération internationale des journalistes (FIJ), organisation professionnelle présente dans 140 pays, a tenté de faire une évaluation. « Il y avait 1 000 cartes de presse internationales à Gaza au début de la guerre, il y en a moins de 800 aujourd’hui », avance Anthony Bellanger, son secrétaire général.
« L’endroit le plus meurtrier au monde »
La FIJ estime exactement à 219 le nombre de ceux qui font métier d’informer qui ont perdu la vie à Gaza depuis le 7 octobre 2023, un chiffre qui monte à 247 pour le bureau des droits de l’homme de l’ONU, et descend à 220 pour RSF – selon que les calculs prennent en compte l’ensemble des travailleurs des médias (caméramans, techniciens, etc.) ou les journalistes seulement, en reportage ou non au moment de leur décès. « Gaza est désormais l’endroit le plus meurtrier au monde », insiste RSF, qui exige un accès de la presse internationale sans entrave à Gaza, et que cessent les attaques ciblées contre les journalistes. Avec 10 collaborateurs tués depuis le début du conflit, Al-Jazira est « le média qui a perdu le plus grand nombre de journalistes à Gaza », ajoute Tamer Almisshal, présentateur sur la chaîne qatarie, qui déplore également que « plus de 50 » de ses collègues soient détenus par les forces israéliennes, et que d’autres encore « [aie]nt perdu leur famille » dans la guerre.
Sur place, les journalistes tentent de s’organiser pour travailler. Avec l’aide de l’Unesco, la FIJ a implanté trois centres de solidarité sur le territoire (à Khan Younès, dans la ville de Gaza et à Deir Al-Balah), permettant à ceux qui ont les moyens de s’y rendre de trouver de l’électricité, de l’eau potable, quelques denrées et des couvertures. L’armée israélienne est informée de leur localisation, affirme Anthony Bellanger, afin d’éviter toute méprise potentiellement tragique. Mais hors de ces zones, le risque est maximal.
Tous, par ailleurs, manquent de nourriture. Le 21 juillet, la Société des journalistes de l’AFP a soulevé une émotion mondiale en racontant que, consumées par la faim, les forces de la « pigiste texte, [des] trois photographes et [des] six pigistes vidéo » de l’agence à Gaza étaient en train de les quitter. « Nous risquons d’apprendre leur mort à tout moment et cela nous est insupportable », écrivait-elle. Six semaines plus tard, « ils ont un peu moins faim », rapporte Thomas Coex, responsable photo à l’AFP et coauteur du texte. Après que Donald Trump avait évoqué « une vraie famine » à Gaza, quelques camions supplémentaires d’aide alimentaire – en nombre cependant insuffisant – sont en effet entrés dans l’enclave. « Non seulement les denrées sont très chères, mais pour les régler, il faut acheter de l’argent liquide [par virement dans la mesure où, les banques n’existant plus, les pièces et les billets en circulation sont en nombre insuffisant] en s’acquittant d’une commission de 55 %, reprend M. Coex. C’est ça, ou risquer d’être tué [par les forces israéliennes] lors d’une distribution » alimentaire.
Inconséquence coupable
« Des journalistes meurent, et chacun se dit que le prochain sera peut-être l’un des deux qui travaillent pour nous, se désole Jean-Marc Four, le directeur de RFI. Plus le temps passe, et plus cette situation affecte nos équipes. » Les rédactions du monde entier sollicitent des accréditations pour entrer à Gaza aussi obstinément qu’Israël refuse d’en accorder. « Notre dernière demande date d’il y a seulement quelques jours, raconte Anne Soetemondt, la directrice de la rédaction internationale de Radio France. Malgré tous les refus que nous avons déjà essuyés, nous n’avons pas d’autre choix que de continuer à réclamer notre droit à informer. »
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