
Info migrants – Dans un rapport publié mercredi, l’ONG Human Rights Watch accuse les autorités mauritaniennes d’avoir commis de « graves violations des droits humains » à l’encontre de migrants et de demandeurs d’asile entre 2020 et début 2025.
« Après une semaine en mer, nous avons été interceptés par la marine mauritanienne [ou les gardes-côtes]. À notre débarquement [à Nouadhibou], ils nous ont menacés et insultés en arabe et en français. Ils nous ont frappés à coups de poing, de matraque, de câble. Je leur ai donné 300 000 francs CFA [457 euros] ». Ce témoignage, recueilli par l’ONG Human Rights Watch, est celui d’un Sénégalais qui a été intercepté alors qu’il tentait la traversée vers les îles Canaries depuis les côtes mauritaniennes.
Dans son dernier rapport publié ce mercredi, l’organisation compile plus de 200 témoignages de migrants faisant état de violations des droits humains de la part des autorités mauritaniennes ces cinq dernières années. « Pendant des années, les autorités mauritaniennes ont mené une politique abusive en matière de contrôle des migrations – malheureusement courante en Afrique du Nord – en violant les droits des migrants africains originaires d’autres régions », a commenté Lauren Seibert, chercheuse sur les droits des réfugiés et des migrants à Human Rights Watch.
« [La police] m’a beaucoup frappé et ne m’a pas donné à manger »
Les témoins interrogés par l’organisation accusent la police, les gardes-côtes, l’armée et la gendarmerie mauritaniennes d’être les auteurs de ces actes. Et ce, à toutes les étapes de leur parcours.
Ousmane Diallo, un Guinéen de 22 ans, a déclaré que la police mauritanienne l’avait arrêté avec un autre migrant près de la frontière nord. « Ils nous ont déshabillés, ont pris nos vêtements, nous ont laissés allongés sur le sol de 1 à 2 heures du matin. Puis, ils nous ont dit : ‘Allez’ et nous ont laissés marcher dans le froid à moitié nus ».
Certains ont fait état de violences sexuelles, notamment des viols « contre au moins neuf migrants », selon le rapport.
De nombreux exilés arrêtés en Mauritanie sont ensuite envoyés dans l’un des cinq centres de rétention du pays. Des dizaines de migrants passés par ces lieux ont décrit à HRW des « conditions et des traitements inhumains », comme le manque de nourriture, les mauvaises conditions d’hygiène et des coups infligés par les gardiens.

Ibrahim Kamara est un Sierra-Léonais de 23 ans. Il a passé trois jours dans le centre de Ksar, un quartier de la capitale Nouakchott, en août 2022. « [La police] m’a beaucoup frappé et ne m’a pas donné à manger. Ils m’ont traité comme un animal. Quand je voulais aller pisser [ou] parler à un policier, celui-ci me frappait la main ou le dos avec un koboko [fouet] », a-t-il raconté, ajoutant qu’il n’avait pu manger que parce que d’autres migrants partageaient leur nourriture.
Un homme sénégalais détenu au centre de Nouadhibou a déclaré, lui, n’avoir reçu « qu’une seule bouteille d’eau et du pain ». « De 18 heures jusqu’au lendemain matin, tu ne peux pas sortir. Tu dois uriner dans la pièce. On ne pouvait pas se laver », a-t-il témoigné.
Vagues d’expulsions
Le nombre de personnes en détention varie fortement car des milliers d’expulsions vers les frontières sont opérées par les autorités. Début 2025, ces opérations avaient suscité de vives critiques en Afrique de l’Ouest, poussant des pays comme le Mali et le Sénégal à exprimer leur indignation. Les autorités mauritaniennes avaient qualifié ces expulsions d’opérations de « routine » visant les personnes en situation irrégulière.
Pourtant, le nombre de personnes concernées par rapport aux années précédentes a explosé. Au cours des six premiers mois de 2025, le gouvernement mauritanien a déclaré avoir expulsé plus de 28 000 personnes. Et en 2024, 16 410 personnes ont été refoulées contre seulement 9 426 personnes en 2023 et 3 533 en 2022.
Certains sont envoyés vers le Mali malgré les risques sécuritaires, dénonce HRW. L’ONG rapporte que des migrants ont été envoyés vers Gogui avant et après des attaques par des groupes armés en janvier 2025, citant des travailleurs humanitaires et des migrants interviewés au Mali. « Certains [dans le groupe] étaient malades et certains avaient été battus. À la frontière, [les autorités maliennes] ont dit : ‘Vous n’êtes pas les seuls. [Les Mauritaniens] ont expulsé beaucoup de personnes noires’. L’armée malienne à Gogui nous a aidés [avec le transport] vers Kayes, des gens nous ont dit que nous avions de la chance de ne pas avoir croisé un groupe armé », a raconté un libérien de 46 ans expulsé de Mauritanie.

D’autres, comme l’a documenté InfoMigrants, sont envoyés à Rosso, ville frontalière avec le Sénégal. Ici, seul un centre de la Croix-Rouge est susceptible d’accueillir les refoulés mais les fonds et capacités d’assistance sont limités. « Les migrants expulsés vers Rosso ont généralement passé plusieurs jours sans se laver ni manger, et certains arrivent sans [assez] d’habits, ou même pieds nus. Nous avons demandé au gouvernement de mettre en place un fonds à cet effet », a déclaré Mamadou Gueye, membre de Diadem, une association qui vient en aide aux migrants.
Le rapport documente aussi l’expulsion vers les pays frontaliers de demandeurs d’asile pourtant en possession de papiers du Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) ou encore de mineurs non accompagnés.
Interceptions et violences en mer
HRW dénonce aussi les accords passés entre l’Union européenne (UE) et l’Espagne avec la Mauritanie « pour externaliser le contrôle des flux migratoires ». En 2024, la Mauritanie a signé un nouveau partenariat en matière de migration avec l’UE en échange d’un financement de 210 millions d’euros destiné à réduire les flux de la migration irrégulière, un accord comparable à ceux conclus par l’UE avec la Tunisie et l’Égypte.
Une externalisation des frontières qui a mené à une augmentation des interceptions des traversées. En 2024, 11 469 bateaux ont été stoppés par les autorités mauritaniennes, une hausse de 122 % par rapport à 2023 et de 431 % par rapport à 2022.
Et durant ces opérations, de nombreuses violations des droits ont été commises, selon les témoignages recueillis par l’ONG. « Des gardes-côtes mauritaniens nous ont attrapés après presque trois jours en mer. Ils nous ont demandé de l’argent. Ils nous ont menacés, disant que si nous ne payions pas, ils prendraient nos bouteilles d’essence. Plusieurs nous ont frappés. J’ai subi des coups car j’étais capitaine et ils pensaient que j’avais organisé le convoi pour aller en Espagne. J’ai encore une cicatrice près de l’œil gauche à cause des coups », raconte un Sénégalais de 26 ans.

« Dès qu’on est descendu du bateau, il y a eu le contrôle maritime mauritanien. Il y a eu des violences au bord de l’eau. Nous étions maltraités, tapés. Ils ont tiré une balle pour effrayer les gens et nous ont dit : ‘Personne ne bouge. Celui qui bouge, on va tirer’. C’étaient des gendarmes en uniforme et d’autres sans uniforme », témoigne de son côté un Guinéen de 17 ans.
Selon certains témoignages, des agents espagnols étaient aussi présents au moment où des violences ont été commises.
La Mauritanie dément
Dans une réponse aux questions de Human Rights Watch, le gouvernement mauritanien a déclaré qu’il « rejett[ait] catégoriquement les allégations de torture, de discrimination raciale ou de violations systématiques des droits des migrants ». Nouakchott a mis en avant les mesures récentes prises pour améliorer le respect des droits, notamment l’ »interdiction stricte des expulsions collectives » et les nouvelles procédures opérationnelles standard (POS) adoptées en mai 2025 pour réglementer les débarquements et la « prise en charge » des migrants, avec des garanties solides en matière de droits et de protection.

« Un dispositif de recours est en cours de finalisation. Il permettra aux migrants la possibilité de présenter des preuves ou documents pouvant justifier un sursis temporaire à l’exécution de la mesure d’éloignement », ont aussi répondu les autorités, interrogées sur l’expulsion de demandeurs d’asile et de mineurs non accompagnés.
Human Rights Watch salue effectivement les réformes prises ces derniers mois, dont le POS. « En allant plus loin pour mettre fin aux abus, la Mauritanie pourrait potentiellement montrer la voie vers une gestion des migrations respectueuse des droits en Afrique du Nord. De leur côté, l’UE et l’Espagne devraient veiller à ce que leur coopération avec la Mauritanie en matière de migration donne la priorité aux droits et à la sauvegarde des vies humaines, au lieu de soutenir des mesures répressives qui conduisent à des abus », a déclaré Lauren Seibert.
De son côté, dans sa réponse à Human Rights Watch, la Commission européenne a déclaré que son partenariat avec la Mauritanie était « solidement ancré » dans le respect des droits et a réaffirmé le soutien de l’UE aux POS et à d’autres initiatives centrées sur les droits.
Source : Info migrants
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