Dans l’intimité des laveuses des morts : entre pudeur et discrétion

Le Soleil  – Certains métiers demandent de la discrétion, une capacité à faire preuve de discernement, à comprendre quelles informations peuvent être divulguées, partagées. Car elle garantit la confidentialité et le respect de la confiance accordée.

Cette discrétion est requise chez les laveuses de morts. Bien plus qu’une purification extérieure, la toilette mortuaire, ce rituel sacré empreint de respect, n’est pas l’apanage des curieux, des loquaces, de ceux qui ne savent pas tenir leur langue. La purification du corps est un moyen d’honorer la personne décédée et de rendre hommage à sa dignité. Ce rite suit un déroulement particulier et doit être accompli avec une intention pure. Durant tout son déroulement, le respect de l’intimité du défunt est une obligation. C’est pourquoi, explique Diarra Cissé, il est recommandé aux laveuses de veiller à ce que leurs sœurs décédées soient traitées avec dignité et respect conformément aux enseignements de l’islam.

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« Le lavage mortuaire témoigne de la dignité accordée au défunt. Celle qui accomplit le lavage mortuaire doit rester discrète au sujet de ce tout qu’elle observe concernant le défunt ; elle ne doit rien répéter quand elle voit une mauvaise chose durant l’exercice de sa tâche. Surtout lorsqu’il s’agit de l’état du corps. Tout ce qui se passe à l’intérieur doit rester secret », fait-elle savoir. Salimata Djiré abonde dans le même sens. Selon elle, il y a des gens qui ont du mal à tenir leur langue et qui n’ont pas la moindre once de discrétion. Ils n’hésitent pas à crier sur tous les toits ce qu’ils ont vu ; que ce soit bon ou déplaisant. « Le lavage mortuaire est un acte profondément symbolique qui allie respect et dévouement. Il faut être aussi muet qu’une carpe. D’ailleurs, il est recommandé d’invoquer Allah en faveur du mort pendant l’exécution de la toilette mortuaire et de se garder de tout bavardage inutile », conseille-t-elle.

« Il nous arrive de voir des choses incroyables, mais nous n’avons pas le droit de les divulguer. C’est formellement interdit par respect pour l’intimité et la dignité du défunt, sa famille », indique-t-elle. Selon un hadith du prophète, celui qui accomplit le lavage mortuaire et n’en dévoile rien se voit attribuer l’immense récompense d’être pardonné quarante fois. Le respect du mort étant très important dans la tradition musulmane, la toilette mortuaire ne doit pas être confiée à n’importe qui. D’où la nécessité de former des fidèles vertueux, dignes de confiance pour leur permettre d’accomplir correctement ce rite, dans le respect des préceptes religieux, et de continuer d’honorer nos défunts et de les préparer avec dignité pour leur passage vers l’au-delà.

Acte de foi, métier hors du commun

Il est des métiers qui font peur, qui angoissent. Difficile d’être à l’aise lorsqu’une laveuse de morts vous parle de son travail. Cette pratique qui fait partie intégrante de l’héritage religieux de la communauté musulmane est un métier hors du commun, enveloppé de mystère. Pour celles qui le pratiquent, c’est un acte noble, un acte de foi chargé de symbolisme et de valeurs spirituelles.  En apprenant les techniques de toilette mortuaire, ces femmes perpétuent une tradition. Mais il n’est pas donné à toute personne de devenir laveuse de mort. La préposée à cette tâche doit être mentalement forte et courageuse. Elle doit savoir gérer ses émotions et rester discrète. Une conduite exemplaire et un sang-froid à toute épreuve sont requis.

De même qu’une bonne condition physique pour pouvoir manipuler les corps et endurer de longues heures de travail debout. La toilette mortuaire peut paraître effrayante, terrifiante, mais pour celles qui sont confrontées quotidiennement à la mort, prennent, tous les jours, soin de nos défunts, c’est devenu, à la longue, une simple routine, qui ne les empêche pas de dormir, parce que conscientes qu’elles lavent un corps immobile, inerte, qui ne respire plus. Comme s’il dormait. Lors de sa première expérience, Khady Djiré n’a pas réussi à fermer l’œil de la nuit. Elle a fait des cauchemars, a vu des corps partout. Elle s’en est alors ouverte à un maître coranique qui l’a rassurée et lui a demandé de poursuivre sur cette voie. « Si on a peur, c’est simplement parce qu’on n’a pas été en face d’un parent ou proche. Depuis que j’ai procédé à la toilette mortuaire de ma tante et de ma fille, je n’ai plus peur », affirme-t-elle, heureuse de faire ce travail.

Un mort, rappelle-t-elle, reste immobile, ne bouge pas. « C’est vrai qu’on ressent quelque chose de fort, mais c’est la laveuse qui fait bouger le corps. Donc pourquoi avoir peur si l’on sait qu’un jour notre tour arrivera ? C’est tout l’intérêt de faire bien le travail, avec tendresse », relève-t-elle. Peur de côtoyer un cadavre Pour Diarra Cissé, il n’y a pas beaucoup de femmes qui peuvent prétendre faire ce métier. La raison, explique-t-elle, est que la majorité, a trop peur de la mort pour côtoyer un cadavre. « Si certaines femmes sont habituées à côtoyer les morts, d’autres par contre n’oseraient jamais rester seules dans une pièce avec un cadavre. Mais moi ça ne m’effraie pas. Je n’ai jamais eu peur ni fait de cauchemar. Cette voie me convient parfaitement. Plus qu’un métier, c’est devenu une vraie passion pour moi », indique-t-elle.

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Par Samba Oumar FALL, Souleymane Diam SY (textes) et Mbacké BA (photos)

 

 

Source : Le Soleil (Sénégal)

 

 

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