
Le Soleil – Il n’est pas un berger ordinaire. Demba Hamady Saada Bâ l’a démontré le 23 juillet dernier. Après quatre années passées au Mali, à la quête de prairies herbeuses, ce fils du Fouta, précisément de Mbanane, village situé dans la commune de Nabadji Civol, est revenu triomphant avec un important cheptel. Cette performance inédite a fait de lui une légende et lui a permis de devenir un des bergers les plus célèbres dans son terroir. Son parcours est un véritable appel à traverser la vie avec courage et optimisme, à croire en nos capacités et à agir avec détermination.
La maison ne désemplit pas en ce lundi 28 juillet. Les gens vont et viennent dans la demeure de Oumou Deh, à Mbanane, village situé dans la commune de Nabadji Civol, à quelques encablures de Boyinadji (département de Matam). Le ballet est incessant. Tout le monde veut voir et célébrer le héros, car Demba Hamady Saada Bâ en est un. Un vrai.
Fêté comme un roi pour avoir honoré sa communauté, il a défrayé la chronique et est entré au panthéon des bergers les plus populaires du Sénégal. Après quatre années passées au Mali, où il a amené paître son bétail, il est revenu au bercail triomphant, à la tête d’un imposant cheptel et accueilli par une foule admirative venue de toute la région de Matam. Une première dans l’histoire pastorale de cette partie nord du pays. Les vidéos du retour du berger héros, partagées sur les réseaux sociaux, ont été virales. La tête coiffée d’un bonnet surmonté d’une casquette qui laisse apparaître ses cheveux frisés, Demba Hamady Saada Bâ ne semble pas mesurer la portée de son exploit.
La mine craintive, le regard fuyant, le jeune homme, très réservé, à la limite pudique, cache mal sa timidité qui lui colle à la peau comme un chewing-gum. Difficile de lui soutirer des mots et de deviner ce qui se passe dans son esprit. Même après l’euphorie suscitée par son retour.
Signe du destin
Âgé de 31 ans, Demba Hamady Saada Bâ n’a jamais mis les pieds à l’école. Issu d’une famille de bergers, il a suivi la mouvance. Comme ses grands-parents, son père et ses frères avant lui. « Je n’ai jamais été à l’école ; j’ai très trop embrassé ce métier puisque dans notre famille, il n’y a pas d’émigrés. Je n’avais donc d’autres alternatives que de pratiquer ce métier légué par mes ancêtres », explique, d’une voix à peine audible, Demba Hamady Saada dont le parcours révèle une force intérieure impressionnante. Être berger n’est pas donné à n’importe qui. Beaucoup de paramètres en font une activité complexe, qui demande des compétences allant bien au-delà de la simple garde du bétail. Outre la connaissance des animaux et la capacité à les gérer, le sens de l’orientation et de l’observation ainsi que la maîtrise du calendrier pastoral sont indispensables. Ses ancêtres avaient des relations spécifiques avec les bêtes. Ils savaient pénétrer leur esprit, leur parler, les soigner quand ça allait mal, les aider à mettre bas.
Demba Hamady Saada Bâ s’y était donc préparé, lui qui, depuis son plus jeune âge, a fait de la forêt son terrain de jeu et d’apprentissage. En effet, il s’est, très tôt, familiarisé avec ce métier enraciné dans des pratiques séculaires, a appris à vivre en symbiose avec la nature. Depuis quelques années, le vent de l’espoir l’avait mené vers le Mali, ce pays frontalier avec le Sénégal, guidé par la résolution de bien s’occuper de ses moutons, éloigné de toute civilisation. Seul avec son bétail, loin des distractions et des interactions sociales de la vie urbaine, et en communion avec l’écosystème, Demba Hamady Saada, fidèle à l’esprit nomade, a enduré la pluie, le froid, la chaleur, le vent, les longues journées de marche, les maladies, la solitude pour réaliser son rêve. Et il a réussi son pari, comme l’atteste son cheptel de moutons bien entretenus.
« Je rends grâce à Dieu de m’avoir permis de revenir auprès des miens sain et sauf. Je suis revenu à Mbanane une première fois, mais sans mon troupeau. Ce n’est que quatre ans plus tard que j’ai décidé de rentrer au bercail, auprès de ma famille », explique-t-il. « Les bergers n’ont pas de frontières. Ils vont toujours là où l’herbe est plus abondante. C’est pour cette raison d’ailleurs que je suis allé au Mali qui est un pays frère parce que nous entretenons de bonnes relations. Nous sommes presque un même peuple et je n’ai pas rencontré la moindre difficulté lors de mon séjour », informe Demba Hamady Saada Bâ qui force l’admiration. Son retour a fortement contribué à mettre sous le feu des projecteurs son village natal, Mbanane, jadis plongé dans l’anonymat. Il en est conscient et fier.
« C’est une très bonne chose et je remercie tous ceux qui ont fait le déplacement pour me réserver cet accueil mémorable », indique le héros de Mbanane dans un flegme légendaire. Chez les Peuls, l’opulence et le prestige se mesurent à l’importance du troupeau. Chaque famille possède des têtes de bétail. Cependant, il est de notoriété que le Peul n’aime pas que l’on épilogue sur le nombre de têtes qu’il a. C’est pour cette raison d’ailleurs que la provenance du troupeau de Demba Hamady Saada Bâ, revenu avec un important cheptel, reste un mystère.
D’aucuns ont spéculé, poussant parfois l’audace jusqu’à avancer que de généreux esprits lui ont donné sa richesse, son patrimoine. Mais, la légende de Mbanane est claire à ce sujet. Il a réussi à fructifier son cheptel grâce au fruit de son travail acharné, de sa détermination. Un signe du destin, souligne-t-il. « Je suis issu d’une famille de bergers. Pendant quatre ans, j’ai travaillé sans relâche. Et grâce à Dieu, j’ai réussi à avoir ce cheptel à la sueur de mon front », indique-t-il. Il n’en dira pas plus. Le mystère demeure et il ne faut pas compter sur Demba Hamady Saada ou ses proches pour le lever. Aux yeux de ces derniers, il symbolise le courage, la résilience et la réussite. Sa mère, Oumou Deh, est heureuse de son retour et l’engouement suscité.
« Demba Hamady Saada Bâ est mon benjamin. Quand il m’a dit qu’il revenait à la maison, j’étais très heureuse. J’ai alors informé tous mes parents et proches pour venir l’accueillir », affirme la dame qui peine à dissimuler sa fierté. Fierté d’avoir un fils qui a réussi à mobiliser toute sa communauté. « Demba est un bon garçon. Malgré sa longue absence, il me donnait souvent de ses nouvelles, me rassurait sur sa santé, sa sécurité », indique la dame qui rend grâce au Seigneur. « C’est un garçon qui a toujours aimé ce qu’il faisait. Il n’a jamais badiné quand il s’agit de son travail. C’est pourquoi sa réussite ne me surprend pas et sa venue me comble de bonheur », avoue-t-elle.
Légende vivante
Devenu une légende vivante, Demba Hamady Saada Bâ va devoir désormais s’adapter à la célébrité. Une nouvelle donne à laquelle le jeune berger ne s’attendait pas. Mais, cette notoriété ne lui est pas montée à la tête. « Après quatre longues années d’absence, j’ai jugé nécessaire de rentrer au bercail pour profiter de la famille, me ressourcer. Pour l’instant, je suis encore à Mbanane et je vais profiter de ces moments avant de reprendre le travail », indique le fils prodige plus que jamais déterminé à continuer sur sa lancée et perpétuer cette tradition multiséculaire.
Par Samba Oumar FALL, Souleymane Diam SY (textes) et Mbacké BA (photo)
Source : Le Soleil (Sénégal)
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