
Lalibre.be – Julie Hendrickx Devos a un parcours hors du commun. Son prénom en témoigne presque à lui seul. Comme elle le précise, Julie se prononce « Djoulie », à l’anglaise. Et pour cause : elle est née en Inde, en 1977, pays qui fut sous domination britannique durant près d’un siècle. Ce sera à l’âge de trois ans qu’elle rejoindra la Belgique, alors adoptée par Agnès Devos et son compagnon, Marc Hendrickx.
Julie ne grandit pas seul. Même s’ils sont de parents biologiques différents, et nés dans des régions diverses de l’Inde, elle a un frère, Anand, et une sœur, Tangam. Les trois enfants adoptés habitent aujourd’hui encore en Belgique, alors que le couple Hendrickx s’est marié cinq ans après l’adoption de Julie. Avant son mariage, le père adoptif de Julie avait été jésuite pendant plus de 20 ans.
Après le mariage de ses parents, Julie Hendrickx Devos prend le nom de son père, mais elle décide en 2014, lorsque la réforme du droit des noms le lui permettait, d’ajouter le nom de sa mère (Devos) pour enrichir son patronyme.
Notons que si Julie prend le nom de Devos, c’est aussi par proximité avec Jeanne Devos, sa tante. Religieuse de la congrégation des Sœurs du Coeur Immaculé de Marie (qui s’occupait d’un orphelinat en Inde), Jeanne Devos fut une personnalité très respectée en Flandre, et primée pour son engagement en faveur des droits des travailleurs domestiques en Inde, où elle a fondé le National Domestic Workers Movement.
Anglais, histoire et religion
« Les valeurs chrétiennes et le souci des plus démunis ont toujours été pour nous des repères évidents et inaltérables dans notre manière de vivre ensemble », se souvient Julie Hendrickx Devos qui note que ces valeurs ont traversé sa vie de bout en bout.
« J’ai vécu une enfance heureuse avec des parents adoptifs dévoués. Nous habitions le petit village de Linden près de Leuven », raconte Julie.
Plus tard, munie de son diplôme de régente en anglais, histoire et religion, elle concrétise son rêve et enseigne à l’Institut de Sacré-Cœur à Heverlee. On lui confie ensuite la formation et les stages pratiques des futurs enseignants en histoire. « Enseigner à deux niveaux différents fut pour moi une expérience très enrichissante », reconnaît-elle.
L’enseignante devenue militante
Pour relever les nombreux défis de notre époque, l’enseignante se double d’une militante qui tente l’aventure syndicale. Sa vision claire, son énergie, sa persévérance l’amènent donc sur le terrain.
Sur le fond, pour contribuer à mettre en place une société inclusive, solidaire et respectueuse de la planète, Julie Hendrickx Devos rappelle que l’engagement citoyen est la clé du progrès : « la société ne dépend pas des élites, elle appartient aux citoyens », souligne celle qui puise notamment son inspiration chez les pionniers du Mouvement Ouvrier Chrétien.
Concrètement, c’est au syndicat chrétien ACV qu’elle apprend à mettre ses compétences pour « donner une voix aux plus vulnérables« . La responsable syndicale s’y sent rapidement comme un poisson dans l’eau et apprécie le contact avec la base. Très vite, elle prend du galon.
L’encyclique Rerum Novarum
Pressentie comme directrice Brabant flamand et Bruxelles de beweging.net, elle prend les rênes de cette coupole qui regroupe aujourd’hui 16 organisations, dont le syndicat chrétien ACV, la mutualité CM, le mouvement de jeunes Kajotters, Familiehulp…
Nommée présidente en juin dernier, Julie Hendrickx Devos succède à Peter Wouters, aux manettes de la fédération flamande depuis huit ans. Celui-ci fit basculer la coupole d’inspiration chrétienne et proche du CD & V dans un monde nouveau, en jetant ses filets en dehors de la sphère d’influence chrétienne. C’est ainsi qu’un dialogue avec Vooruit et Groen a été initié.
Pour autant, Julie Hendrickx est attendue au tournant. Beweging.net a besoin de se forger une nouvelle image et un look « plus sexy » dans un monde où les extrêmes ne cessent de gagner du terrain. Mais derrière cette volonté de modernisation, la fédération demeure pleinement en phase avec les valeurs du personnalisme chrétien, telles que formulées par le philosophe français Emmanuel Mounier (1905-1950). Ce dernier invitait déjà à rendre la société plus humaine à travers un processus de personnalisation, s’appuyant sur l’Encyclique Rerum novarum publiée le 15 mai 1891 par le pape Léon XIII, texte fondateur de la doctrine sociale de l’Église.
De Bombay à Louvain
Lors du décès de sa tante, et en repensant aux conversations menées avec elle, Julie Hendrickx Devos s’est penchée sur ses origines indiennes et s’est sentie investie d’une mission. « J’ai eu envie de me replonger dans le passé de Jeanne. J’ai écrit un livre pour raconter son apostolat en Inde qui retrace aussi l’historique du Mouvement National des Employés de Maison, initié par elle », s’enthousiasme-t-elle.
« À Bombay, Jeanne Devos fut en effet frappée par le sort des travailleurs pauvres vivant dans des conditions misérables. Parmi ces travailleurs, se trouvaient de très jeunes filles, placées comme domestiques dans des familles aisées », rappelle notre interlocutrice.
« Jeanne Devos voulut donc briser l’isolement de ces pauvres femmes, établir des contacts, repérer les situations critiques, donner des conseils et une assistance juridique, leur offrir des possibilités de poursuivre leur éducation », explique-t-elle.
Le mouvement fondé par Jeanne Devos a largement contribué à faire évoluer le cadre législatif en Inde. « Sous son impulsion, le pays a fixé un salaire minimum pour les employés de maison. La missionnaire a aussi œuvré pour que le travail domestique non rémunéré soit considéré par les Nations Unies comme de l’esclavage. »
Ce travail a débouché sur la Convention 189 adoptée à Genève le 16 juin 2011, qui accorde un statut légal aux employés de maison dans le monde entier. L’inde a dès lors décerné le prestigieux Priyadarshini Global Award à Jeanne Devos. En 2010, elle fut également élevée au rang de citoyenne d’honneur de Leuven. En 2005 déjà, elle a fait partie des nominés pour le prix Nobel de la Paix.
« Parfois, on me regarde de travers »
Julie Hendrickx Devos est fière de ses racines indiennes. Mais elleestime qu’il y a encore beaucoup d’obstacles à surmonter avant de pouvoir éradiquer la discrimination en Flandre. « La discrimination, la brutalité et le repli sur soi sont devenus la nouvelle normalité chez nous », déplore-t-elle.
« Dans la rue, il arrive régulièrement que l’on me regarde de travers », regrette Julie Hendrickx Devos. « Il n’est pas rare que mon allure indienne donne lieu à des insultes, des remarques déplacées, des préjugés ».
« Un jour j’ai donné une conférence sur l’Inde. Ma tante Jeanne était à côté de moi. Quelqu’un m’a demandé si je parlais néerlandais. Une autre fois, on m’a demandé si c’était moi qui conduisais la voiture de ma tante. Et il m’est arrivé qu’on sonne à la porte et que le livreur me demanda de transmettre le colis à ma ‘patronne’. Me voyant avec l’aspirateur près de moi, il pensait avoir affaire à la femme de ménage… »
Source : Lalibre.be – (Belgique)
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