Guerre en Ukraine : Donald Trump échoue à arracher un cessez-le-feu à Vladimir Poutine

Le Monde  – DécryptageNul ne sait ce qui s’est négocié en Alaska et aucun accord n’a été détaillé. Incapable de contraindre son homologue russe, le président américain met la pression sur les Ukrainiens et les Européens dans le règlement du conflit.

En quête de la paix (« Pursuing Peace »). Tel était le mot d’ordre de la rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine, vendredi 15 août, à Anchorage, en Alaska, censée arracher un cessez-le-feu sur le terrain en Ukraine et préparer une réunion entre le président américain et ses homologues russe et ukrainien, Volodomyr Zelensky.

Beaucoup craignaient que ce sommet ne se transforme en un Munich, les Etats-Unis abandonnant l’Ukraine, agressée mais pas conviée, à la Russie comme la Tchécoslovaquie fut laissée à Hitler en 1938 ; ou en un Yalta, cette conférence de février 1945 qui partagea l’Europe entre Staline et les Anglo-Américains. En réalité, nul ne sait ce qui s’est négocié à Anchorage, vendredi, si ce n’est que le sommet est un échec manifeste pour Donald Trump.

Vladimir Poutine et Donald Trump à la base américaine Elmendorf-Richardson, à Anchorage (Alaska), le 15 août 2025.

Avant la réunion, le président des Etats-Unis avait répété son exigence : « Je souhaite un cessez-le-feu rapide. Je ne sais pas si ce sera pour aujourd’hui, mais je ne serai pas content si ce n’est pas aujourd’hui… Je veux que les massacres cessent. Je suis là pour les arrêter. » Rien de tel n’a été annoncé. Aucun accord n’a été détaillé, même si nul ne peut exclure que les négociations aient progressé. A court terme, la paix attendra.

 

La conférence de presse, programmée vers 16 heures avec Vladimir Poutine, n’en était pas une : pas de questions des journalistes. Juste une déclaration de Vladimir Poutine de sept minutes, sur l’amitié entre les Etats-Unis et la Russie, tandis que Donald Trump a tenu pendant cinq minutes quelques propos ambigus, embarrassés, faute d’avoir obtenu les résultats escomptés.

« Nous étions d’accord sur de nombreux points, la plupart. Quelques points importants ne sont pas encore tout à fait résolus, mais nous avons progressé. Il n’y aura donc pas d’accord tant qu’il n’y a pas d’accord, a concédé Donald Trump. Je contacterai l’OTAN dans quelques instants. Je contacterai les différentes personnes que je jugerai compétentes et, bien sûr, le président Zelensky pour lui parler de la réunion d’aujourd’hui. C’est à eux de décider. »

Renaissance des relations russo-américaines

Cet échec, s’il se confirme, est, en creux, un soulagement pour les Ukrainiens et les Européens : ils ne sont pas mis devant le fait accompli, sommés d’accepter en l’échange d’un cessez-le-feu des concessions territoriales, voire une « finlandisation » de l’Ukraine assortie de vagues garanties de sécurité. De facto, ils reviennent dans le jeu, Donald Trump n’ayant pas réussi à débloquer seul le dossier.

Juste avant, Vladimir Poutine avait vanté des « accords », sans donner lui non plus le moindre détail. Il a surtout vanté la renaissance des relations russo-américaines, rappelé l’époque glorieuse de la collaboration entre les Etats-Unis et l’URSS pendant la seconde guerre mondiale, lorsque l’Alaska servait de plaque tournante à la livraison de matériel militaire à Staline.

« Les discussions se sont déroulées dans une atmosphère constructive. Nos pays sont des voisins proches. Quand je suis descendu de l’avion, j’ai dit : “Bonjour, cher voisin !” Ce qui se passe en Ukraine pour nous est une tragédie et une douleur. Nous avons toujours considéré le peuple ukrainien comme un frère, a insisté le président russe. Une solution durable nécessite de s’attaquer aux causes profondes du conflit. Bien sûr, la sécurité de l’Ukraine doit être assurée, nous sommes prêts à y travailler. Nous espérons que Kiev et l’Europe ne s’engageront pas dans des provocations pour faire dérailler ces progrès. Notre partenariat avec les Etats-Unis a du potentiel. Donald Trump comprend que la Russie a ses propres intérêts nationaux. Il dit que, lui président, la guerre n’aurait pas commencé – et je suis d’accord avec lui. »

Vladimir Poutine et Donald Trump, lors de la conférence de presse après le sommet sur l’Ukraine, à Anchorage (Alaska), le 15 août 2025.

Lorsque Donald Trump a souhaité revoir très vite Vladimir Poutine, ce dernier a lancé : « La prochaine fois, à Moscou. » Comprenant le piège d’un futur déplacement en Russie, surtout si l’objectif est de régler la guerre en Ukraine, Donald Trump a tenté d’esquiver : « Oh, c’est intéressant. Je vais m’attirer des critiques, mais cela pourrait arriver. » En fait, le sommet en Alaska a donné à Vladimir Poutine une occasion de parader sur le sol américain, sans risquer d’être arrêté en vertu du mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale, qui l’a inculpé pour crime de guerre, car les Etats-Unis n’en font pas partie.

Donald Trump s’est trouvé sevré de communication médiatique, lui qui n’en finissait pas de parler de ce sommet, censé mener à la paix, à l’origine avec des échanges de territoires, et dont l’objectif n’était plus in fine que d’obtenir un cessez-le-feu et un sommet tripartite.

Dans l’avion présidentiel, il s’était longuement épanché auprès de la presse et ne cessait de donner des interviews à la chaîne conservatrice Fox News. Curieusement, avant le sommet, il avait appelé le meilleur allié de Vladimir Poutine, Alexandre Loukachenko, se réjouissant sur son réseau Truth Social d’avoir eu « une conversation merveilleuse » avec le « président très respecté de Biélorussie », qu’il dirige en dictateur depuis 1994.

Au cœur de la défense arctique et pacifique des Etats-Unis

Lorsque Air Force One avait atterri en Alaska, à 10 h 30, heure locale, sur la base d’Elmendorf-Richardson, on sentait que l’on passait de la parole libérée au face-à-face contrôlé, millimétré, où tout se joue dans la tension de la chorégraphie. Rien ne bougeait à bord, Donald Trump attendait l’arrivée, vers 11 heures, de son homologue, qui avait fait escale en Sibérie et rendu hommage, justement, aux aviateurs du pont aérien de la seconde guerre mondiale.

Les portes des deux aéronefs présidentiels sont restées longuement ouvertes, sans que nul ne bouge. Enfin, Donald Trump est descendu le premier, lentement, assez crispé, et lorsqu’il a touché le tarmac, Vladimir Poutine est sorti à son tour de son Iliouchine Il-96. Donald Trump a attendu alors quelques instants son homologue sur le tapis rouge. Il l’a même applaudi à deux reprises au moins, tandis que Vladimir Poutine levait les pouces.

Vladimir Poutine, à Anchorage (Alaska), le 15 août 2025.

La base se situe en Alaska, au cœur de la défense arctique et pacifique des Etats-Unis. Donald Trump fait alors passer son homologue devant quatre chasseurs F-22 furtifs américains, tandis que d’autres appareils, dont un bombardier B-2, paradent dans les airs. Après cette démonstration, le président américain invite Vladimir Poutine dans sa Cadillac présidentielle, surnommée « The Beast ». Un événement rare – le républicain avait voulu le faire avec le leader nord-coréen, Kim Jong-un, mais à l’époque, ses conseillers l’en avaient dissuadé – suivi d’une autre incongruité : les deux hommes engagent une conversation dans la voiture, sans conseillers ni interprètes.

Vers 11 h 30, la discussion a commencé sans la moindre déclaration publique. Contrairement à ce qui était envisagé initialement et ce que souhaitait la partie russe, la rencontre en face-à-face est devenue une réunion à six. Donald Trump était accompagné de son secrétaire d’Etat, Marco Rubio, et de son envoyé spécial et ami promoteur immobilier, Steve Witkoff. Le président russe, lui, était flanqué de son ministre des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, et de son conseiller diplomatique, Iouri Ouchakov. Le chef de la diplomatie russe s’était fait remarquer, quelques heures plus tôt, en arrivant en Alaska avec un tee-shirt marqué « URSS », pour rappeler le temps où la Russie et l’Ukraine vivaient sous le même joug soviétique.

« No deal »

En réalité, c’était la journée de Vladimir Poutine. Celle du silence. Interpellé par les journalistes, le président russe n’a pas répondu à la question de savoir s’il accepterait un cessez-le-feu. Lorsqu’il lui est demandé s’il allait « cesser de tuer des civils », il a fait un geste laissant penser qu’il n’entendait pas la question. Au même moment, Kiev signalait que des avions et des drones continuaient d’attaquer l’Ukraine. Le président Zelensky avait vu juste. « La guerre continue et elle continue précisément parce qu’il n’y a aucun ordre ni aucun signal de Moscou indiquant qu’il se prépare à y mettre fin », avait-il martelé, peu avant le sommet.

A l’origine, l’entrevue entre les deux dirigeants devait se prolonger par un déjeuner de travail, centré sur la reprise des relations commerciales et peut-être sur la levée des sanctions. Donald Trump souhaitait, pour sa part, se remettre en affaires avec la Russie, peu importe l’Ukraine. Ainsi, le secrétaire au Trésor, Scott Bessent, et celui au commerce, Howard Lutnick, étaient présents. De son côté, M. Poutine était accompagné par son ministre des finances, Anton Silouanov, et le PDG du Fonds souverain russe d’investissement direct, Kirill Dmitriev. Le volet commercial bilatéral était très attendu par la partie russe mais il a été annulé. Une sérieuse déception pour le Kremlin, qui comptait sur un allègement des sanctions pour redonner du souffle à son économie mal en point.

Juste après la conférence de presse, le président russe est allé déposer des fleurs sur les tombes des pilotes soviétiques enterrés à la base d’Elmendorf-Richardson, puis il a rencontré l’archevêque orthodoxe de Sitka et d’Alaska, Alexis. Peu après, son avion a décollé vers Magadan dans l’Extrême-Orient russe.

Vladimir Poutine et Donald Trump, lors de la conférence de presse après le sommet sur l’Ukraine, à Anchorage (Alaska), le 15 août 2025.

Avant tout, Vladimir Poutine a « gagné la guerre de l’information. Il a utilisé Trump pour montrer qu’il n’était pas isolé », a estimé Oleksandr Merejko, président de la commission des affaires étrangères du Parlement ukrainien, cité par The New York Times. Faute d’en savoir plus, la presse américaine se bornait à constater qu’il n’y avait « pas d’accord ». « No deal » pour l’homme qui se prévaut d’exceller dans « l’art du “deal” ».

Une chose est sûre, Donald Trump est toujours aussi admiratif de Vladimir Poutine, qu’il a décrit, sur Fox News après la rencontre, comme « un homme fort (…), dur comme l’acier ». Excluant de nouvelles sanctions contre la Russie, le président américain a estimé que le but était « toujours la paix ». Jugeant avoir fait sa part, incapable de contraindre la partie russe, il s’est défaussé sur l’Ukraine et sur ses alliés européens : « Maintenant, ça dépend vraiment du président Zelensky pour y parvenir. Et je dirais également des Etats européens, ils doivent s’impliquer un petit peu (…). »

 

 

 (Base d’Elmendorf-Richardson, Alaska, envoyé spécial) et

 

 

 

Source :  Le Monde

 

 

 

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