
En Bretagne, depuis une décennie, les patrons de pêche embauchent des marins originaires du Sénégal, attirés par les salaires supérieurs à ceux pratiqués en Espagne. – Reportage –
Il fait nuit, et un petit crachin trempe le quai du port de Lorient (Morbihan). Dans les hangars froids de la criée, les premiers travailleurs sont déjà à pied d’œuvre. Des manutentionnaires préparent les lignes de convoyage, prêtes à recevoir la pêche du jour. Dehors, l’équipage du chalutier Côte-d’Ambre s’apprête, lui, à partir pour dix jours en mer. D’avril à fin août, c’est la période des langoustines. « Bouba n’est pas là, alors que d’habitude c’est le premier arrivé », s’étonne le patron du navire, Laurent Tréguier, 52 ans, en terminant le plein de carburant. Le matelot retardataire finit par apparaître, contrarié par une panne de réveil. D’un pas pressé, Bouba Diouf Sagna, 47 ans, prend sa place aux côtés de ses quatre collègues, dans l’exécution des tâches routinières qui précèdent le départ en mer. A 3 heures du matin, ils doivent quitter le port.


Voilà plus de cinq ans que cet homme originaire de Bétanti, une commune littorale au sud du Sénégal, a rejoint l’équipage du Côte-d’Ambre. « Ça fait une quinzaine d’années qu’on est en tension sur le personnel parce que le métier n’attire plus. C’est physique, et le confort est relatif, explique Laurent Tréguier. On arrivait quand même à trouver des gars, plus ou moins formés, mais, quand on a acheté le bateau en 2019 avec mon frère, on a eu besoin de tourner davantage, donc de recruter. J’ai vu que des Sénégalais longeaient les quais avec des CV, j’ai d’abord embauché Doudou. Il naviguait déjà en France depuis plusieurs années. »
Sans pouvoir dire à quand remonte l’arrivée des premiers pêcheurs sénégalais sur les côtes bretonnes, Valérie Le Bartz, chargée de mission au Comité régional des pêches, se souvient qu’autour de 2010, avec la crise économique en Espagne où ils étaient en transit, une part importante d’entre eux ont rejoint la France pour de meilleures perspectives.
« Au moins 35 000 euros nets à l’année »
C’est le cas de Bouba Diouf Sagna. Au Sénégal, cet homme gagnait 350 euros par mois sur des chalutiers espagnols qui quittaient Dakar pour pêcher la crevette au large des côtes mauritaniennes. « Pour gagner plus », on lui a d’abord conseillé d’aller en Espagne. En 2000, le matelot obtient un visa de tourisme pour la France et rejoint… le littoral andalou. « Pour travailler dans la pêche, il fallait un titre de séjour. On m’a dit d’aller bosser à Almeria, dans les champs de tomates et de piments, et en trois mois j’en ai décroché un premier », se souvient-il.
Régularisé, il retourne à ses premières amours et part pêcher l’espadon sur des bateaux espagnols, au large du Cap Vert, du Brésil, du Sierra Leone, de la Mauritanie et même du Canada. En 2017, il est naturalisé espagnol. Mais, deux ans plus tard, il met le cap sur la France, « parce qu’ils payent mieux ». En France, le salaire des membres d’équipage est indexé sur la vente du poisson. « Les pêcheurs touchent au moins 35 000 euros net à l’année », relate Laurent Tréguier, qui a aussi embauché il y a deux ans le frère de Bouba, Aliou, également passé par l’Espagne.
Attirés par la perspective de revenus supérieurs, d’autres continuent de franchir les Pyrénées. Moussa Elhadji Sarr a débarqué début juillet près de Saint-Malo après vingt ans en Andalousie. Il a tout de suite trouvé une place chez un armateur breton. « En Espagne, le climat est bon, la vie est accessible, mais ce que tu gagnes ne permet pas d’économiser », explique l’homme de 40 ans, qui gagnait autour de 2 000 euros de salaire mensuel. Sa femme et ses deux garçons vivent dans la maison dont il est propriétaire, à Almeria. « Si les choses marchent bien, je voudrais qu’ils me rejoignent », dit-il.
Selon les estimations du Comité régional des pêches, la Bretagne compte environ 500 pêcheurs étrangers, parmi lesquels une majorité d’Espagnols, de Portugais et de Sénégalais. Au niveau national, des données publiques datant de 2021 dénombraient près de 2 000 étrangers en France, dont 600 Espagnols, un peu moins de Portugais et environ 250 Sénégalais. « Des Sénégalais peuvent avoir été naturalisés et compter dans d’autres catégories », précise Valérie Le Bartz, qui a accompagné plusieurs dizaines d’entre eux dans des procédures de reconnaissances de leurs qualifications professionnelles.
« On est tous des étrangers »
A Lorient, le Côte-d’Ambre a quitté le port depuis quelques minutes, tandis qu’à la criée les intérimaires chargent sur un convoyeur des caisses de langoustes, de tourteaux et d’araignées de mer. Mais aussi de sardines, de baudroies ou de merlans. Il y a parmi eux un Congolais, un Djiboutien, des Gambiens, des Sénégalais, un Arménien… « On est tous des étrangers », observe l’un d’eux. Dans la salle des ventes, à partir de 4 heures du matin, les restaurateurs, mareyeurs et autres grossistes viennent s’achalander chaque jour.
Moussa Ba embauche une heure plus tard au port. Pour le mareyeur Marcel Jaffray et fils, il « lève des filets, prépare des commandes, charge les camions ». Ce Sénégalais de 49 ans n’était pas pêcheur dans son pays, mais après avoir tourné en France et en Allemagne à la recherche de « tous les moyens pour [s]’en sortir », il a suivi les conseils d’un compatriote en gagnant la Bretagne. Il a d’abord travaillé pour la conserverie de la Belle-Iloise, à Quiberon (Morbihan), avant de rejoindre, en 2020, son employeur actuel.
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