A Gaza, quelques notes de beauté dans un océan de ruines

Le musicien Ahmed Abu Amsha donne des cours de guitare et de chant à des enfants des camps de déplacés, où la famine sévit. Chaque semaine, le professeur et ses élèves se produisent en public, faisant surgir quelques instants d’apaisement.

Le Monde  – Pour une fois, le son qui résonne autour des tentes du quartier de Rimal, à Gaza, n’est pas celui des drones et des bombardements israéliens. Ce mercredi 9 juillet, dans la soirée, on y entend quelques accords de guitare, plus ou moins justes, et des mélodies fredonnées par des voix d’enfants. Ahmed Abu Amsha, professeur de guitare et de chant, fait répéter des classiques du répertoire palestinien à une dizaine d’élèves âgés de 10 ans à 20 ans.

Ces jeunes qui, pour la plupart, vivent dans des tentes de fortune, comme leur enseignant et sa famille, font tous partie du collectif Gaza Birds Singing. Chaque semaine, le groupe se produit une à deux fois lors de concerts organisés près du marché du quartier ou dans la zone d’accueil des déplacés. Systématiquement, les prestations sont retransmises sur Instagram, où le mélomane de 40 ans est suivi par plus de 20 000 personnes.

Ces courtes vidéos, partagées des dizaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux, notamment une version en anglais et en arabe du Hallelujah de Leonard Cohen, ont transformé le père de cinq enfants âgés de 7 ans à 17 ans, déplacé de force avec sa famille douze fois depuis le 7 octobre 2023, en un symbole de résilience. La preuve que l’art et la beauté peuvent resurgir au milieu des décombres.

Enième déplacement

Dans le territoire palestinien, théâtre de massacres ininterrompus depuis bientôt deux ans, où au moins 61 000 personnes, dont une majorité de civils, ont été tuées et où la population souffre de la faim, Ahmed Abu Amsha est désormais connu comme « le professeur de musique » de l’enclave. Comme s’il n’en restait qu’un. Ses leçons, le quadragénaire originaire de Beit Hanoun les a commencées le 13 mars.

Avant cette date, et depuis le début de la guerre, il n’avait pas réussi à toucher un instrument de musique. Mais ce jour-là, sans y réfléchir, après un énième déplacement, le Gazaoui aux cheveux poivre et sel empoigne la guitare d’un ami et joue les premières mesures de Do-Ré-Mi, chanson emblématique de La Mélodie du bonheur (1965), la comédie musicale de Robert Wise. « Pendant un instant, j’ai oublié la guerre, raconte-t-il aujourd’hui par WhatsApp. Et les enfants ont tous frappé dans leurs mains, en rythme. » Le lendemain, un petit groupe de jeunes revient devant sa tente et lui demande de nouvelles chansons, un rassemblement qui se transforme en cours improvisé.

Au départ, sa nouvelle activité a été traitée avec scepticisme et moquerie par les déplacés du quartier côtier de Rimal. Quel sens cela peut-il avoir de jouer de la musique quand trouver de l’eau et de la nourriture relève de l’exploit ? Selon Ahmed Abu Amsha, c’est tout aussi important. Au bout de quelques cours, le professeur débutant remarque que ces quelques heures de musique calment certains enfants, traumatisés par les bombardements et les deuils à répétition. « Plusieurs d’entre eux, qui n’arrivaient plus à parler depuis des semaines à cause de la peur, se sont remis à prononcer des phrases », décrit le guitariste. Grâce à ses amis ou à ses nouveaux voisins, il se fait prêter quelques guitares, des violons et un oud pour son cours hebdomadaire. Motivé par la « joie » de ces jeunes élèves venus nombreux, il décide aussi d’organiser pour eux un cours de chorale hebdomadaire.

Studio détruit lors de frappes

Avant la guerre, toute la vie d’Ahmed Abu Amsha gravitait déjà autour de la musique. Ce fils d’un professeur d’anglais et de guitare fameux pour avoir animé les grands mariages du territoire palestinien a lui-même été un jeune musicien reconnu. Dès ses 15 ans, l’adolescent a été recruté dans une troupe qui, au début des années 2000, se produisait souvent en Egypte ou en Tunisie. Adulte, le guitariste a monté son propre studio d’enregistrement, Awtar for Sound Production, dans le « quartier des olives » de Beit Hanoun, au nord de Gaza.

En plus de composer des jingles pour des publicités, l’instrumentiste est devenu l’un des principaux loueurs de sono pour les événements festifs de l’enclave. Le 8 octobre 2023, en prélude à une vague de bombardements, l’armée israélienne a envoyé un ordre d’évacuation couvrant son quartier. « Ma famille et moi n’étions qu’à 200 mètres quand toute la zone a été pilonnée », raconte Ahmed Abu Amsha. Son studio a été détruit lors de ces frappes.

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 (Tel Aviv, envoyé spécial)

 

 

Source :  Le Monde  – (Le 10 août 2025)

 

 

 

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