YOOTE ET WURE : jeux traditionnels wolof et mandingue : la science en s’amusant

Sud Quotidien – Dans bien des villages d’Afrique de l’Ouest, lorsque le soleil descend à l’horizon et que l’air se fait plus doux, un petit attroupement se forme sous l’arbre à palabres. Les anciens sortent un plateau creusé de douze cases, y déposent des graines rondes et brillantes, puis commencent à « semer ». Autour, des enfants observent attentivement, attendant leur tour pour jouer. La scène se répète depuis des siècles : c’est une partie de Yoote, un jeu traditionnel qui, comme son cousin le Wure, cache sous ses apparences ludiques un véritable trésor d’apprentissage scientifique et mathématique.

Héritages de société

Chez les Wolof comme chez les Mandingues, Yoote et Wure ne sont pas de simples passe-temps. Ce sont des marqueurs culturels, transmis de génération en génération, qui rythment la vie sociale. Le Yoote (similaire au jeu d’echec) se joue à même le sol, avec des grains et des bouts de bois, souvent issues de l’arbre appelé Ndiandiane . L’objectif : semer et récolter en calculant ses coups, tout en anticipant les réponses de l’adversaire.

Le Wure, plus libre dans ses formes, se pratique avec des cailloux, des coquillages ou des osselets. Certaines variantes sont des épreuves d’adresse et de rapidité, d’autres font appel à la mémoire et au calcul mental. Dans les villages mandingues, le Wure sert parfois d’outil direct d’apprentissage des nombres et des proportions pour les plus jeunes.

Des mathématiques… sans cahier ni tableau

Ces jeux sont de véritables laboratoires de mathématiques appliquées. Le Yoote exige de compter vite et juste, de prévoir combien de graines finiront dans telle case, de faire des additions et soustractions rapides. La multiplication et la division sont présentes de façon implicite, lorsqu’il faut calculer combien de « semailles » il faudra pour atteindre une position stratégique. Même la proportionnalité intervient : certaines stratégies consistent à répartir équitablement les graines ou à concentrer ses ressources sur quelques cases.

Dans le Wure, les mathématiques se mêlent à la géométrie discrète et à la théorie des probabilités. Il faut évaluer les risques, prédire le coup adverse et organiser mentalement des combinaisons complexes, tout cela dans un cadre compétitif mais convivial.

Des compétences scientifiques en germe

Derrière les gestes rapides et les éclats de rire, ces jeux enseignent la logique, la planification et l’anticipation. Chaque partie de Yoote est une leçon de stratégie : prévoir plusieurs coups à l’avance, observer les réactions adverses, adapter sa tactique en fonction de l’évolution du plateau.

C’est aussi un entraînement discret à la démarche scientifique : poser une hypothèse (« Si je joue ici, je récupère trois graines »), la tester, analyser le résultat et ajuster la stratégie. Dans le Wure, l’exigence de précision et la gestion de séquences rapides développent la coordination motrice et la mémoire de travail.

Un vecteur de transmission culturelle

Au-delà des chiffres et des stratégies, Yoote et Wure transmettent un savoir-vivre. Les anciens initient les jeunes non seulement aux règles, mais aussi aux proverbes et aux histoires qui accompagnent les parties. Les jeux deviennent ainsi des espaces éducatifs où l’on apprend la patience, le respect de l’adversaire, et la valeur du fair-play.

Dans les sociétés wolof et mandingues, la pratique de ces jeux est aussi un acte social : elle rassemble, elle structure les liens communautaires, et elle inscrit les enfants dans une continuité culturelle.

Quand la tradition rencontre l’école

Aujourd’hui, l’éducation cherche à développer les compétences (Sciences, Technologie, Ingénierie et Mathématiques). Intégrer Yoote et Wure aux méthodes pédagogiques modernes serait une manière originale et culturellement enracinée d’y parvenir.

On peut imaginer des ateliers scolaires où ces jeux servent d’introduction au calcul mental et à la logique. Des tournois inter-écoles pourraient motiver les élèves tout en valorisant le patrimoine local. Des applications numériques pourraient, elles, séduire la jeunesse connectée tout en conservant les règles originelles.

Préserver pour transmettre

La modernisation et l’urbanisation menacent ces pratiques. La télévision, les jeux vidéo et le manque d’espaces publics adaptés réduisent le temps consacré à ces loisirs traditionnels. Pourtant, leur disparition signifierait la perte d’un outil pédagogique unique.

Pour éviter cela, des initiatives sont possibles : inscrire Yoote et Wure au patrimoine culturel immatériel, former des animateurs dans les écoles, ou encore documenter les variantes régionales pour enrichir la connaissance collective.

Plus qu’un jeu

Le Yoote et le Wure prouvent que la science et les mathématiques ne naissent pas seulement dans les laboratoires ou les salles de classe. Elles s’expriment aussi dans les gestes patients d’un joueur qui compte ses graines, dans le regard concentré d’un enfant qui prépare son prochain coup, dans les rires partagés autour d’un plateau.

Ces jeux traditionnels sont à la fois héritage et outil d’avenir. En les préservant et en les adaptant, on offre aux générations futures non seulement un lien vivant avec leurs racines, mais aussi un formidable tremplin vers la pensée logique, la rigueur scientifique et la créativité.

 

 

Samba Niébé BA 

 

 

 

Source : Sud Quotidien (Sénégal) – Le 09 août 2025

 

 

 

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