Casablanca, ville refuge pour les migrants subsahariens au Maroc : « On a besoin d’eux »

Le Monde ReportageLa capitale économique accueille de nombreux immigrés originaires d’Afrique de l’Ouest. Face aux difficultés pour rejoindre l’Europe, certains ont décidé de faire leur vie dans cette métropole où ils sont « tolérés ».

Ses clients l’ont surnommé « Kouamé » – un nom très répandu en Côte d’Ivoire – parce qu’il vend, dit-on, le meilleur attiéké du coin. Dans son échoppe d’Oulfa, quartier populaire aux portes de Casablanca, Youssef Lazouzi propose un bout d’Abidjan : sachets de semoule de manioc à 18 dirhams (1,70 euro), riz parfumé… Il y a un peu plus d’un an, ce trentenaire marocain avait misé sur des cosmétiques bio. Sans succès. « Je me suis adapté à ma nouvelle clientèle, confie-t-il. Elle est aujourd’hui à majorité subsaharienne. »

Un habitant sénégalais d’Oulfa, près de Casablanca, tient un magasin de beauté et de bouche, le 5 août 2025.

 

A l’autre bout du quartier, Youssef Nasser, 42 ans, livre à vélo, comme chaque jour, sa vingtaine de kilos de gombos et de « piments africains qui arrachent » aux restaurateurs ambulants et bouis-bouis sénégalais ou nigérians, où l’on peut voir une photo du roi. Il y a quelques années, cet homme fluet vendait du pain. Il a changé de métier et gagne désormais 3 000 dirhams (284 euros) par mois, soit l’équivalent du salaire minimum au Maroc.

 

« Je les aime bien ces étrangers, je ne peux pas gâter [critiquer] les Subsahariens », glisse-t-il en usant, lui aussi, d’un verbe typique d’Afrique de l’Ouest : « J’ai un frère en France, un autre en Espagne, je ne veux pas qu’on les traite mal. Les Subsahariens méritent une chance au Maroc. Ils cherchent à s’en sortir, il faut les soutenir. »

Des bras à bas prix

Depuis une décennie, des dizaines de milliers de migrants originaires du Sénégal, du Mali ou du Congo-Brazzaville ont déposé leurs baluchons et leurs espoirs à Casablanca. Certains travaillent pour décrocher « un petit quelque chose » dans la capitale économique du royaume. D’autres, pour qui le Maroc reste une escale, rêvent de fuir vers l’Europe en franchissant l’océan Atlantique, la mer Méditerranée ou les clôtures des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.

Oumar, un Ivoirien, se fait livrer du poulet des abattoirs pour le vendre une fois préparé, dans son quartier à Oulfa, Casablanca, le 6 août 2025.

 

Mais ces routes se compliquent. Depuis le 1er janvier, un peu plus de 16 000 personnes ont rejoint l’Espagne – surtout via les Canaries –, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Un tiers de moins qu’un an plus tôt à la même période, en raison notamment des accords signés en février 2023 entre le Maroc et l’Espagne.

Les villes du Nord, comme Tanger ou Nador, sont sous surveillance. Les migrants qui cherchent à y accéder, notamment en bus, sont refoulés – parfois avec brutalité, selon leurs récits – puis renvoyés vers le Sud. Pas question de laisser une brèche vers l’Europe ou de revivre le drame de Melilla, en avril 2022, quand plusieurs personnes étaient mortes en tentant de pénétrer dans l’enclave, violemment refoulées par les forces marocaines et espagnoles.

« La véritable frontière de l’Europe se situe désormais à Casablanca vu qu’au nord de la ville, les migrants sont arrêtés », observe Salaheddine Lemaizi, secrétaire général du Réseau marocain des journalistes des migrations. Selon lui, le Sud est devenu un refuge pour les migrants : certains s’y refont une santé financière en attendant de tenter à nouveau de se rendre en Espagne, d’autres s’y enracinent, notamment à Casablanca. « C’est une ville où les migrants sont plus au moins tolérés. On ne va pas les traquer, parce qu’on a besoin d’eux », décrit-il.

La région de « Casa » est en plein boom. Elle concentre 32 % du produit intérieur brut du Maroc. Avec ses 3,2 millions d’habitants (sur une population totale de 37 millions) et deux grands événements footballistiques à venir – la Coupe d’Afrique des nations en décembre et la Coupe du monde en 2030 –, la métropole se voit en vitrine d’un royaume ouvert, moderne, magnétique… et à la recherche de bras à bas prix.

Mariages mixtes

Nourrices, dames de compagnie, serveurs, cuisiniers, vigiles, manutentionnaires et même entrepreneurs… Les migrants s’ancrent dans la cité. Sur les chantiers, dans les foyers ou les centres d’appels, les Subsahariens sont rarement déclarés, souvent sous-payés. « C’est très utile pour le patronat, qui a accès à une main-d’œuvre bon marché », pointe Salaheddine Lemaizi, également rédacteur en chef du journal en ligne Enass.

« Mais les migrants peuvent trouver une place et s’en sortir. Ils sont d’ailleurs de plus en plus visibles », se félicite Abdullah Abaakil, membre du conseil de la ville et vice-secrétaire du Parti socialiste unifié. Il rappelle que les autorités marocaines – qui n’ont pas répondu aux sollicitations du Monde – estiment entre 300 000 et 400 000 le nombre d’immigrés en situation irrégulière pour près de 150 000 étrangers légalement établis. Les Sénégalais, Gabonais ou Nigériens peuvent entrer sans visa – ce fut aussi le cas, un temps, pour les Ivoiriens –, les Guinéens ou Maliens avec une autorisation en ligne.

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 (Casablanca [Maroc], envoyé spécial)

 

 

 

Source :  Le Monde 

 

 

 

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