
Dans le monde entier, les régimes et les valeurs démocratiques subissent des attaques d’une ampleur sans précédent depuis 1945. Cette reculade générale ne doit pas occulter le phénomène inquiétant et spécifique qui saisit de nombreux pays d’Afrique francophone, où les progrès vers le libre choix des dirigeants par les populations, enregistrés depuis les années 1990, sont remis en cause. Ce mouvement est marqué par la mise au pas des opposants, par une répression féroce, et, dans la zone sahélienne, par un huis clos consécutif à l’interdiction des médias indépendants et étrangers.
Au Mali comme au Burkina Faso, pays longtemps présentés comme porteurs d’espoir démocratique, les juntes militaires qui ont pris le pouvoir en 2020 et en 2022 ne prennent même plus la peine d’évoquer la perspective d’élections. Tous les partis politiques maliens ont été dissous en mai et le général Assimi Goïta fait surveiller, enlever et emprisonner ses détracteurs. Jusqu’à incarcérer, vendredi 1er août, l’ancien premier ministre Moussa Mara, à la suite de son message sur les réseaux sociaux appelant à la résistance. Au Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré envoie de force les opposants sur le front antidjihadiste.
Quant aux militaires nigériens dirigés par le général Abdourahamane Tiani, ils détiennent au secret, depuis deux ans, l’ancien président Mohamed Bazoum, leur principal opposant, et son épouse. La situation n’est guère plus brillante en Guinée, où le général Mamadi Doumbouya multiplie les enlèvements de journalistes, d’avocats et d’opposants politiques, ou au Tchad, où le président Mahamat Idriss Déby a jeté en prison en mai Succès Masra, son éphémère premier ministre et adversaire à la présidentielle de 2024. Cette triste litanie se poursuit avec le Togo, dont le dirigeant, Faure Gnassingbé, fils du dictateur Gnassingbé Eyadéma, au pouvoir entre 1967 et 2005, a modifié les institutions pour se maintenir à la tête du pays. Et avec le Cameroun, où Paul Biya, 92 ans, brigue un huitième mandat et vient de faire interdire la candidature de Maurice Kamto, son principal challenger.
Incessants mouvements de protestation
Cette éclipse démocratique africaine a des causes multiples, parmi lesquelles les lourdes ambiguïtés de la France, ancienne puissance coloniale, prompte à adouber, jusqu’à aujourd’hui, des satrapes réputés amis et à réduire la démocratie à la tenue d’élections même truquées. Mais plus de six décennies après les indépendances, le rejet de la démocratie au nom du souverainisme tient surtout à des réalités endogènes : la multiplication d’Etats prédateurs impuissants face aux groupes djihadistes et, en réaction, l’émergence d’autocraties militaires exploitant le ressentiment envers la France. Ces putschistes cherchent à conforter leur pouvoir en faisant passer la démocratie pour une idée purement occidentale, sans progresser, vu leur obsession pour l’armement, vers la satisfaction des besoins élémentaires de la population.
Dans ce contexte, il paraît capital, comme le fait éloquemment le journaliste Ousmane Ndiaye dans son essai qui vient d’être publié, L’Afrique contre la démocratie. Mythes, déni et péril (Riveneuve), de rappeler l’universalité de l’aspiration à l’égalité et au choix des gouvernants, attestée notamment par les dynamiques démocratiques à l’œuvre dans l’Afrique précoloniale, par les incessants mouvements de protestation actuels, et par la notable exception que constitue le Sénégal. La démocratie n’est pas réservée aux Occidentaux. Il appartient aux différents Etats africains d’inventer la leur. Et aux Occidentaux de respecter leur choix.
Editorial
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