Au Sénégal, la liberté d’expression mise à mal par la multiplication des délits d’opinion

Poursuivies sur la base d’articles controversés du code pénal, plusieurs personnalités sénégalaises ont été convoquées par la police pour avoir critiqué le premier ministre Ousmane Sonko.

Le Monde – Les convocations par la police et les procédures judiciaires visant des journalistes ou des opposants se multiplient au Sénégal. Le 8 juillet, le directeur du groupe médiatique Avenir Communication, Madiambal Diagne a été convoqué par la police. En cause : un message posté sur son compte X autour de l’affaire Adji Sarr, du nom de la jeune femme ayant accusé l’actuel premier ministre, Ousmane Sonko, de viol en 2023. Il est ressorti libre mais, le lendemain, le chroniqueur Badara Gadiaga était convoqué, puis placé en garde à vue, pour des propos sur le même sujet, tenus durant une émission de télévision connue pour son ton polémique.

Une troisième personnalité, l’activiste Ardo Gningue, devait aussi être entendue mardi pour une publication sur Facebook, toujours sur le même sujet. Déjà arrêté en mars et détenu pendant une dizaine de jours avant d’être reconnu coupable de « propositions contraires aux bonnes mœurs » et condamné notamment à deux ans de prison avec sursis, il ne s’est cette fois pas présenté aux enquêteurs de la Division Spéciale de la Cybersécurité et fait désormais l’objet d’un avis de recherche.

Les tribunaux voient également défiler des personnalités politiques. Le 10 juin, Moustapha Diakhaté, élu de l’ancienne majorité rangée derrière le président sortant Macky Sall, a été placé en garde à vue. Il est accusé de « propos offensants » envers le chef de l’Etat, qu’il a qualifié de « gougnafier ». Quinze jours plus tard, le 25 juin, c’est au tour du journaliste Bachir Fofana d’être placé en garde à vue puis sous mandat de dépôt. Il est poursuivi pour « diffusion de fausses nouvelles ». Il avait questionné les irrégularités de l’Assemblée nationale dans un marché pour l’achat de véhicules de fonction. Le président de l’institution, El Malick Ndiaye, a porté plainte.

Autre cas qui défraie la chronique : celui du polémiste Abdou Nguer, poursuivi également pour « diffusion de fausses nouvelles ». Tous sont habitués aux diatribes à l’endroit des cadres du parti au pouvoir, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef).

« Affaires politiques »

Deux figures connues de la société civile ont réagi à ces mises en cause. « Le multipartisme et la démocratie sont consubstantiels aux joutes verbales, aux polémiques », a jugé le président du think thank Afrikajom, Alioune Tine. Le coordinateur du Forum Civil, Birahim Seck, a pour sa part pointé « une judiciarisation du débat démocratique ».

L’enchaînement de ces affaires fait ressurgir dans le débat public le sujet des délits d’opinion. Les accusés sont notamment poursuivis sur la base d’articles controversés du code pénal, maintes fois utilisés pour réprimer des opposants. Le directeur exécutif d’Amnesty International Sénégal, Seydi Gassama, a ainsi appelé les autorités « à engager sans délai des réformes au sujet du délit d’offense au chef de l’Etat ». « Ce sont des affaires politiques : on fait taire des voix qui dérangent », dénonce Me El Hadji Diouf, ténor du barreau qui défend trois personnalités inculpées. Selon lui, les lois invoquées « appartiennent à l’époque révolue du parti unique ».

Le président de l’Assemblée nationale, El Malick Ndiaye, a défendu à la télévision publique les raisons de sa plainte contre le journaliste Bachir Fofana : il l’accuse d’avoir discrédité l’institution parlementaire et la justice et appelle à un journalisme conforme « à l’éthique et à la déontologie ». Du côté de son parti – le Pastef – et de ses alliés, la gêne est en revanche palpable. Lorsqu’ils étaient dans l’opposition, leurs militants ont subi le même schéma de représailles, à l’image de l’actuel ministre de l’énergie, du pétrole et des mines, Birame Souleye Diop qui a été poursuivi en 2023 pour offense au chef de l’Etat.

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  (Dakar, correspondance)

 

 

Source : Le Monde

 

 

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