
– En six mois, douze agents de cette administration du ministère de l’économie et des finances se sont donné la mort, et huit ont tenté de le faire. « La liste des victimes compte des hommes et des femmes, de tous âges, à Paris comme en banlieue ou ailleurs », dit un syndicaliste. Une réunion spéciale doit se tenir mercredi, pour savoir si ces morts sont liées au travail.
Le choc remonte au 10 janvier. Ce vendredi matin-là, une très violente surprise attend les premiers agents qui arrivent au centre des finances publiques de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Ils découvrent un de leurs collègues, un jeune inspecteur, pendu dans le hall d’accueil. Après avoir quitté les locaux la veille, il est revenu et s’est donné la mort sur le lieu même où il travaillait. Il n’avait pas 30 ans. Les fonctionnaires sont d’autant plus marqués que ses deux parents sont, eux aussi, agents des finances publiques.
C’est le début d’une impressionnante série noire. Depuis le 1er janvier, douze personnes dépendant de la direction générale des finances publiques (DGFiP) se sont suicidées à travers la France, et huit autres ont tenté de le faire, selon le comptage réalisé par cette administration du ministère de l’économie et des finances. Vingt tragédies en six mois. « Ce sont des drames qui traumatisent tout notre collectif, et des chiffres préoccupants, admet la directrice, Amélie Verdier. Je ne veux en rien les minimiser. »
En 2012, la DGFiP avait déjà connu une année très sombre, avec dix-neuf suicides. Mais, depuis, leur nombre était retombé entre six et douze par an, avec onze cas répertoriés en 2023 et neuf en 2024. Des niveaux désormais dépassés en un semestre seulement. Si cette vague se prolongeait sur l’année, elle correspondrait à un taux de suicide deux fois plus élevé que celui constaté dans l’ensemble de la population française.
« Raisons en général multiples »
Que se passe-t-il ? Pourquoi une telle aggravation ? Les autres directions du ministère n’ont pas connu d’évolution similaire, même si, le 7 mai, une femme chargée de l’entretien du linge s’est tuée en sautant spectaculairement d’un toit du bâtiment principal de Bercy.
Au sein de la DGFiP, « la liste des victimes compte des hommes et des femmes, de tous âges, à Paris comme en banlieue ou ailleurs, relève Olivier Brunelle, secrétaire général Force ouvrière des finances publiques. Il est difficile d’en tirer des conclusions. Mais l’accélération du rythme oblige à se poser des questions, évidemment ».
Face à l’inquiétude du personnel, Amélie Verdier a prévu de faire le point avec les syndicats et d’annoncer plusieurs mesures lors de deux réunions. L’une, fixée de longue date, s’est déroulée lundi 7 juillet. L’autre, consacrée spécialement aux suicides, est programmée mercredi 9 juillet. Ces deux rendez-vous devraient permettre, pour la direction et les élus, d’y voir plus clair sur les chiffres exacts, et surtout de se pencher ensemble sur la question centrale pour eux : ces suicides sont-ils liés au travail, au moins en partie ?
Dans bien des cas, le lien paraît ténu. Comme pour Pierre Cousein, cet informaticien lillois de 48 ans, atteint d’une maladie de Parkinson précoce, qui avait demandé l’aide active à mourir en Belgique et a donné plusieurs interviews sur le sujet avant de recevoir, en avril, ce qu’il appelait « le soin ultime ». Pour d’autres, des motifs personnels semblent également déterminants : divorce, troubles psychiatriques, difficultés avec des enfants… Le dernier suicide en date concerne une femme de 63 ans qui s’est jetée d’un pont dans la Loire, à la mi-juin, alors qu’elle était en arrêt maladie pour affection de longue durée depuis quatre ans. Sur les vingt suicides ou tentatives répertoriés depuis le début de l’année, seuls deux ou trois se sont déroulés sur le lieu de travail, comme à Saint-Denis. Et, en treize ans, « l’imputabilité au service (organisation et fonctionnement) n’a été établie qu’à trois reprises, la dernière remontant à 2018 », précise Amélie Verdier.
« Les raisons d’un suicide sont en général multiples, mais la direction a tendance à écarter a priori les facteurs professionnels, s’agace Sandra Demarcq, la secrétaire générale du syndicat Solidaires-Finances publiques. Elle n’ouvre d’enquête que si les faits se sont produits sur le lieu de travail. Nous voudrions qu’il y en ait à chaque fois. Nous avons vraiment besoin de savoir si des motifs professionnels sont en jeu. » Une requête à laquelle la directrice a décidé de répondre positivement : « Désormais, nous allons systématiquement proposer qu’il y ait une enquête. »
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