
Orient XXI – Naître de parents étrangers en Italie expose à un vide juridique, et obtenir la citoyenneté relève d’un parcours long et coûteux. Certains jeunes d’origine nord-africaine dénoncent leur marginalisation à travers la musique, devenue un puissant outil de revanche sociale et d’intégration. Y compris en langue arabe.
Des jeunes aux corps sculptés ondulent en lançant des regards menaçants et en arborant de lourdes chaînes en or. Ils exhibent des bagues, des montres de luxe, des tatouages, des vêtements de marque et des diamants incrustés dans les dents. Ils brandissent des armes, échangent de l’argent contre du haschisch et de la cocaïne, et exhibent des femmes à moitié nues comme des trophées.
Chaque image des clips de rap et de trap (sous-genre du rap) donne l’impression d’être une ode à la criminalité, dans une atmosphère rendue irréelle par les beats lents, tendus, et les rythmes syncopés des boîtes à rythmes. Aux mélodies minimalistes créées par synthétiseur s’ajoutent des rimes impeccables mêlant italien et argot, slang américain, mots espagnols, français, mais surtout arabes.
Belek (attention), flous (argent), halal (autorisé), haram (interdit), hebs (prison), kho (frère), wallah (je jure) : ces termes sont de plus en plus fréquents dans la nouvelle vague du hip-hop italien, car bon nombre de ses représentants sont d’origine nord-africaine. Leurs titres, en tête des classements pendant des semaines, cumulent des millions de vues sur YouTube, et leurs concerts — presque toujours complets — sont parfois diffusés en direct à la télévision.
Certains ont connu la prison ou les foyers d’accueil. Dans leurs textes, ils racontent une jeunesse marquée par l’exclusion, où la violence et la drogue semblent être les seules échappatoires. Afficher richesse et bien-être économique devient donc un symbole de revanche contre l’exclusion sociale et la répression de classe d’un État qui ne les a jamais reconnus comme ses propres enfants, et continue aujourd’hui à leur refuser droits, protections et opportunités.
En tant qu’« immigrés de deuxième génération », c’est-à-dire nés ici de parents étrangers ou arrivés encore mineurs, ces jeunes, bien qu’ils se sentent pleinement italiens par la langue, la culture et leur lien avec le territoire, sont en effet considérés par les institutions comme des citoyens de seconde zone.
Le premier droit dont ils sont privés est celui de la citoyenneté, qui, dans un pays régi par le jus sanguinis (droit du sang), est accordé uniquement par filiation. Héritée de la législation civile antérieure à l’unité nationale, cette norme visait à maintenir le lien entre les émigrants et la patrie mère. Confirmé dans la première loi sur la citoyenneté de 1912, puis par une loi de 1992 encore plus stricte, le jus sanguinis impose encore aujourd’hui aux personnes d’origine étrangère de demander la citoyenneté après dix ans de résidence régulière et ininterrompue dans le pays ou à leur majorité. Mais la procédure est si complexe, longue et onéreuse que peu parviennent à la finaliser.
Au fil du temps, de nombreuses propositions de loi en faveur du jus soli (droit du sol), principe juridique selon lequel la nationalité d’une personne est déterminée par son lieu de naissance ont été présentées, mais elles ont toutes échoué : plus d’un million de personnes vivent aujourd’hui sans aucune reconnaissance formelle de la part de l’État ni représentation politique, linguistique ou culturelle.
Les nouveaux rappeurs et trappeurs issus de l’immigration essaient de donner une voix à ce peuple marginalisé.
Des pionniers aux nouvelles vedettes de la trap
Né au Maroc et élevé à Bologne dans les années 1990, Lama Islam a été le premier à mélanger l’arabe et l’italien dans ses morceaux pour dénoncer les lourdes discriminations raciales qu’il subissait lui-même. « Il m’est arrivé que la police me demande de montrer mon permis de séjour, même si, sur ma carte d’identité, il était indiqué que j’ai la citoyenneté italienne », raconte-t-il. « On dirait qu’ils le font exprès pour te rappeler que tu es différent. À la banque et aux guichets publics, on me demande encore si je comprends leur langue, qui est pourtant la mienne. »
Amir Issaa, quant à lui, est né à Rome, dans le quartier multiethnique de Tor Pignattara, d’un père égyptien et d’une mère italienne. Après une enfance marquée par des humiliations et des difficultés économiques, il découvre le rap, qui devient rapidement un moyen de raconter sa propre histoire. Il collabore avec diverses associations sociales, anime des ateliers musicaux et d’écriture dans les prisons pour mineurs, et mène des campagnes de sensibilisation contre le racisme. Une grande partie de son travail est liée à la lutte pour la reconnaissance de la citoyenneté des secondes générations : en 2021, il lance sur change.org la pétition « Cher Président » avec un appel vidéo pour promouvoir le jus soli, recueillant des milliers de signatures. Aujourd’hui, il promeut le rap comme outil pédagogique dans les écoles et les universités, en Italie et à l’étranger.
Mais c’est surtout la trap qui devient un terrain fertile pour la création de nouveaux codes identitaires : multilingues, multiethniques, globaux. Oussama Laanbi, alias Maruego (« le Marocain »), né à Berrechid en 1992, l’introduit en Italie. Élevé dans la banlieue milanaise par sa mère, il connaît l’exclusion et la précarité. Il travaille comme apprenti dans une boucherie avant de percer grâce à des morceaux au son innovant : un mélange explosif de rap, d’électro et de « musiques du monde », du raï algérien aux influences françaises.
Journaliste. Elle a contribué à plusieurs enquêtes sur les pays méditerranéens
Source : Orient XXI – (Le 03 juillet 2025)
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