AL Gattaguiyou

Le fondateur de l’université de Gataaga (Gattaga). Qui était Thierno Mamadou Bocar KANE (rta) ?

Il est toujours difficile de parler d’un proche, mais nous allons déroger à la règle pour tenter de répondre à la question. Tout d’abord, nous soulignons que toutes informations de cet article proviennent de deux sources :

La première source vient des personnes qui sont encore en vie et qui étaient de proches collaborateurs de Thierno Mamadou Bocar KANE, surnommé affectueusement, en arabe, par ses disciples, «Al Gattaguiyou», littéralement «habitant de Gataaga», le quartier de la ville de Kaédi où a éclos et brillé, pendant de longues décennies, l’enseignement de sa légendaire «duɗal» (en langue pulaar, «université traditionnelle de sciences islamiques, de Lettres arabes etc.»), qui a instruit des milliers d’étudiants.

La deuxième source est son livre Al Tarjama, dans lequel il relate son parcours.

Al Gattaguiyou, l’un des esprits les plus brillants de son temps, se distinguait par une érudition remarquable et une maîtrise profonde de nombreuses disciplines. Il composa un ouvrage admirable intitulé Al-Manhaj (المنهاج للمحتاج في عقد ما نثره الصنهاجي ), traité de grammaire où il mêla, avec finesse, des considérations linguistiques à une riche réflexion morale et spirituelle, ponctuée de sages conseils, de préceptes éclairants et de sermons édifiants. Il ne fait aucun doute que toute personne qui s’y plonge percevra aisément l’étendue du savoir de ce cheikh et la profondeur de sa réflexion.

Il naquit vers 1900 à Néma, en Mauritanie. Il fut rappelé à son Seigneur en 1980, à Dakar, au Sénégal. Chaque année, à l’occasion de l’anniversaire de sa disparition, sa famille biologique, la mienne, ainsi que l’ensemble de ses disciples de la sous-région se réunissent à Gataaga, dans la ville de Kaédi, pour célébrer la mémoire de cet érudit que le Fouta surnomma, en pulaar, «Maayo Ganndal», «le Puits du Savoir», littéralement «le Fleuve de la Connaissance».

Le titre « Maayo Ganndal » est d’autant plus mérité que Thierno Mamadou Bocar KANE (Que Dieu agrée son âme) acquit, aux yeux de ses pairs, la dignité de «Grand jurisconsulte», du «Maître des jurisconsultes» («Qaadi al-qudaat», قاضي القضاة), notamment dans les années 1960, sous la présidence de Mokhtar Ould Daddah (qu’Allah lui accorde Sa paix): lorsqu’il énonçait ses avis juridiques, il avait souvent le dernier mot, face au cénacle, trié sur le volet, de clercs musulmans mauritaniens versés dans les sciences juridiques de l’islam.

Thierno Mamadou Bocar KANE (Que Dieu agrée son âme !) était un savant respecté, entretenant une relation amicale avec toutes les familles de Kaédi et avec les chefs religieux, sans exception. Il était éloquent, charismatique, beau, juste et profondément humaniste. Cette humanité et cette ouverture d’esprit se reflétaient notamment dans sa relation très particulière avec ses voisins, amis et disciples.

Mes parents, particulièrement mon père, me parlaient souvent de ses karaama («miracles», كرامة ), notamment lorsqu’il était jeune. Sa mère disait de lui : «On ne s’approche pas d’un lion, même si ce dernier ne fait aucun mal.» Une façon de faire comprendre que son rejeton était un être d’exception.

De nombreux religieux de la sous-région ont reconnu les qualités intellectuelles et spirituelles de Gataagiyyu, à plusieurs reprises. Plus récemment, en 2005, l’un de ses anciens étudiant, le «Cheikh» Abdallahi Dia de Boghé (Que Dieu agrée son âme !), nous a raconté une anecdote qui illustre sa belle maîtrise de la langue arabe et des sciences islamiques. Cette gratitude revêt, au-delà de son expression éthique et morale, une dimension éminemment religieuse : Cheikh Ibrahima Niasse (Que Dieu agrée son âme) disait que reconnaître la wilaaya et la connaissance d’un savant est une marque d’honnêteté et de gratitude envers Allah, l’unique Créateur et Donateur de Ses serviteurs.

Thierno Mamadou Bocar KANE : son parcours, sa formation.

Thierno Mamadou Bocar Kane (1900-1980) reçut sa première éducation  intellectuelle de son père, son tout premier maître.

À la mort de celui-ci, la responsabilité de sa formation fut assurée par son frère, communément appelé Thierno Baba, qui poursuivit l’enseignement de leur défunt père. Dans le cadre de son perfectionnement spirituel et intellectuel, Thierno entreprend un voyage en Mauritanie, où il eut l’honneur de mémoriser le Saint Coran auprès de la tribu des «Du Bilal». Il y approfondit également l’étude de l’ensemble des sciences coraniques, en particulier les règles prosodiques de récitation et d’interprétation du Livre saint.

Son désir constant d’accéder à un savoir plus large le poussa à s’engager dans une quête rigoureuse de sciences juridiques islamiques. Il étudia ainsi auprès de plusieurs maîtres reconnus, parmi lesquels le Cheikh Oumar Mariam et le Cheikh Dawoud Ould al-Hussein.

Cette quête le mena finalement jusqu’au Fouta, dans le «duɗal » (université islamique traditionnelle)  de Thierno Hamet Baba Talla (Que Dieu agrée son âme), dont il devint l’étudiant à partir de 1926. Ce dernier devint son guide spirituel. Selon la tradition, le Cheikh lui transmit, symboliquement, son autorité en lui concédant sa canne, un acte particulièrement significatif qui consacre son aura spirituelle et intellectuelle : cette consécration marque un tournant décisif dans sa vie savante et spirituelle.

Thierno Mamadou Bocar Kane étudia alors l’ensemble des disciplines religieuses auprès de ce maître, et reçut de lui l’initiation à la voie soufie Tijaniya.

Il y a dans cette démarche un enseignement important pour ceux qui pensent qu’avoir une affiliation soufie différente de celle de ses parents est une trahison.

Mes pensées vont également vers Thierno Abdallahi Sakho (rta), qui fut le même choix, en embrassant la voie soufie de son maître Cheikh Ibrahima Niasse (rta) en 1937. «Al Gataagiyyu» dit ceci à ce sujet :  » Après que mon Seigneur m’a enseigné, Il m’a transmis la voie Tijaniya. Parmi les grâces qu’Il a accordées aux savants, aucune main n’a été plus noble ni plus généreuse que celle qui me l’a tendue. »

Al Gattaguiyou et certains de ses disciples 

Thierno était une personnalité unique, inégalée dans l’amour et l’affection qu’il portait à son maître spirituel, Thierno Hamet Baba Talla. Q’Allah soit satisfait d’eux deux !  Il l’exprima magnifiquement en ces termes : «Tu es tout pour moi. Tu es celui qui est le centre de toutes choses.»

Ces mots témoignent de la profondeur de la relation spirituelle qu’il entretenait avec son Cheikh. Après le décès de ce vénérable maître, le jeune Thierno prit sa relève dans l’enseignement, s’étant imprégné pleinement de son savoir.

Mais, après quelque temps (1941), il émigra vers la ville de Kaédi, où il fonda son «duɗal» : «université islamique traditionnelle, en langue pulaar. Celle-ci connut le succès que l’on sait : elle forma des milliers d’étudiants, qui affluaient de régions lointaines d’Afrique pour bénéficier de l’enseignement de Gattaguiyou, un puits de science dont la notoriété devint légendaire.

Le nombre de ses disciples étant innombrable, nous nous limiterons ici à mentionner quelques figures exemplaires qui ont marqué cette institution éducative de leur empreinte, contribuant à l’essor du savoir et des sciences religieuses : Thierno Amadou Néne Bah, Thierno Abdoul Demba, Thierno Labba Bah, Thierno Idrissa Ly, Thierno Abdoul Qadr Ly, Thierno Oumar Selly Dieng, Thierno Hamdou Rabby Ndiath et bien d’autres encore comme Thierno Mouhamed Mokhtar Sy. Il est impossible de clore cette liste non exhaustive sans citer son assistant et confident qui est toujours en vie, Thierno Samba Aliou. Quant à Baaba Abdoulaye Touré, il le considérait comme un fils doublé d’un disciple.

Les ouvrages de Thierno

«Gataagiyyu» fut un lettré prolifique. Il a laissé une somme d’écrits qui reflètent la profondeur de ses connaissances et sa passion pour les différentes sciences islamiques. Il n’abordait aucune de ces disciplines sans enrichir la bibliothèque islamique d’un nouvel ouvrage.

L’une de ses œuvres les plus remarquables est «Jawaahir al-Irfaane» (جواهر العرفان), un chef-d’œuvre littéraire unique. Dans ce livre, le Cheikh a organisé une sélection de hadiths du Prophète (Paix et salue sur Lui) afin d’en faciliter la mémorisation, ainsi que des paroles des califes bien guidés (al-Khulafa’ al-Rashidun) et de certains sages. Cet ouvrage constitue ainsi une véritable référence, éclatante dans son domaine. «Jawaher al-Irfan» est le fruit d’un travail remarquable et d’une créativité inspirante qui mérite d’être reconnue. Parmi ses autres ouvrages figurent également « salaam as-sa’uud (سلم الصعود), sur les règles de diction du Coran, «Tahfat al-ikhwaane» (تحفة الإخوان), ainsi qu’un beau traité sur la science de la morphologie. Il a également écrit «Fath al-muriid as-saalik », consacré à l’art du dessin du Coran.

Cet article est un résumé pour faire connaître à la nouvelle génération qui était réellement «Al-Gataagiyyu», le fondateur et le Maître de l’université islamique et littéraire de Gataaga. Ceux qui sont intéressés par ses enseignements peuvent exploiter plus largement ses écrits et se référer à ses disciples. Nous pensons qu’il vaut mieux mieux connaître un peu de tout plutôt que d’ignorer tout d’une chose : Al-gattaguiyou fut, pour sûr, un esprit encyclopédique.

 

Abdel Khadir GUISSE 

 

 

 

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