
S’exprimer, c’est souvent accepter d’être exposé, voire incompris. L’accusation récurrente de « ne pas avoir le sens de l’humour » fonctionne parfois comme une manière d’invalider la parole de ceux qui dénoncent certaines représentations culturelles problématiques. Elle peut masquer des relents d’intolérance, voire des attitudes sectaires.
Dans la région du Gorgol, à la frontière de la Mauritanie et non loin du Sénégal, il fut un temps où la représentation caricaturale des Peuls dans les théâtres sénégalais était si marquée que certains chefs de famille préféraient interdire à leurs enfants de regarder ces programmes. Ces figures stéréotypées comme celle du « Peul bu graw » personnage comique et souvent ridicule ont contribué à inscrire dans l’imaginaire collectif une vision déformée et folklorisée du Peul.
Le cinéma, tout comme les autres formes d’expression culturelle, peut servir à exprimer un mal-être, mais aussi à construire une image exotique et caricaturale de l’Autre. Il est souvent plus facile d’utiliser un mot mal formulé en poular pour nommer une chaîne ou un programme, ou encore d’emprunter certains symboles culturels vêtements, références aux ancêtres, éléments de la tradition lorsque cela est perçu comme valorisant ou tendance. Cela ne suscite généralement aucune résistance.
Pourtant, les Peuls représentent plus de 50 millions de personnes à l’échelle du continent africain ou plus. Lorsqu’une minorité sur le plan numérique ou politique dans le continent les tourne en dérision ou instrumentalise leur culture selon ses intérêts, le problème ne réside pas chez les Peuls eux-mêmes, mais bien dans les dynamiques de pouvoir qui permettent et entretiennent ces représentations.
Lorsqu’un non-Peul endosse le rôle d’un Peul fantasque ou ridicule, et que cette figure devient suffisamment populaire pour rendre la langue poular elle-même « drôle » ou « étrange », cela révèle une volonté d’assigner une place marginale à une culture pourtant profondément ancrée et largement diffusée en Afrique. Ce ne sont donc pas les Peuls qui sont une caricature, mais bien ceux qui les caricaturent (et je ne parle guère d’une ethnie en particulier) et se les approprient de manière sélective.
Face à ces dérives, plutôt que de s’enliser dans des débats souvent stériles ou dévoyés, il devient nécessaire de soutenir activement les productions culturelles réalisées dans nos langues, qui valorisent nos identités et reflètent nos réalités sans filtre ni distorsion. On parle des Peuls mais on pourrait aussi parler de la « figure du Ndiago » souvent apathique et ignorant dans ces théâtres.
Aissata Ahmedou Tidjane Bal
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