En Côte d’Ivoire, le retour en grâce du Stade d’Abidjan, emblème du football post-indépendance

Cinquante-six ans après son dernier titre et une longue période de déclin, le club aux références rémoises a remporté le championnat.

Le Monde – Plus d’un demi-siècle de désillusion, de frustration et d’espoirs rangés au vestiaire. Le 18 mai, le Stade d’Abidjan a mis un terme à une interminable attente de cinquante-six ans en décrochant le sixième titre de champion de Côte d’Ivoire de son histoire. Au coude-à-coude avec un autre géant du football ivoirien, l’ASEC Mimosas et ses vingt-neuf sacres, les Yéyés ont scellé leur victoire lors de l’ultime journée du championnat. Une renaissance pour ce club mythique qui avait brillé dans l’euphorie des premières années d’indépendance avant d’être relégué au second plan.

« Cette victoire est le résultat d’un travail de longue haleine, assure l’un des cadres du club. Voir sans cesse nos rivaux dominer était devenu frustrant. » Au sein du Stade d’Abidjan, le constat est unanime : c’est l’arrivée du président, Sidibé Souleymane, qui a tout changé. Pourtant, lorsqu’il prend les commandes en 2018, juste après la relégation en Ligue 2, rien ne laisse présager de lendemains heureux.

Sous l’impulsion de cet entrepreneur dans l’immobilier, le Stade d’Abidjan engage une profonde restructuration. Le club abandonne son statut associatif pour devenir une société sportive dont Sidibé Souleymane détient 70 % des parts – une réforme contestée en interne. En 2022, il conclut un partenariat avec la mairie de Marcory, une commune d’Abidjan, avant de lancer la construction d’un complexe sportif, d’une valeur de 2 milliards de francs CFA (3 millions d’euros).

Sur le terrain, le club remonte en Ligue 1 après quatre ans d’absence. Mais le retour dans l’élite s’avère compliqué : à la trêve, le Stade d’Abidjan est en position de relégable. Les dirigeants tentent alors un pari audacieux : confier l’équipe à un entraîneur français peu expérimenté de 27 ans, Alexandre Lafitte. Il devient alors le plus jeune coach professionnel du monde. « Ma mission était simple, mais lourde : maintenir le club, raconte-t-il. On a fait une deuxième moitié de saison solide qui nous a permis de sauver notre place. »

Match d’exhibition avec Pelé

L’ascension s’accélère dès la saison suivante. Le Stade d’Abidjan termine à la deuxième place du championnat et se qualifie pour la Ligue des champions africaine, cinquante-quatre ans après sa dernière participation. Avant d’atteindre les sommets cette année. Le départ de son entraîneur, en juin, marque l’ouverture d’un nouveau cycle pour le Stade, qui fêtera ses 90 ans en 2026.

Fondé officiellement en 1936 sous le nom d’Union sportive des fonctionnaires d’Abidjan (USFA), le club est une équipe à vocation corporatiste, soutenu principalement par les employés du secteur public. Ce n’est qu’en 1959 qu’il adopte le nom de Stade d’Abidjan, en hommage au Stade de Reims, alors fleuron du football français et grande référence en Europe. « Les couleurs du club – bleu-blanc-rouge – sont également héritées de cette influence française », relate l’historien Lassiné Coulibaly, spécialiste du football ivoirien.

Symbole ambigu dans un pays qui entretient une relation particulière avec la France, ce club issu de la période coloniale va régner sans partage sur le football ivoirien durant la décennie qui suit l’indépendance. Entre 1962 et 1969, il décroche cinq titres de champion, puis remporte la Coupe d’Afrique des clubs champions en 1966 – une première pour une équipe ivoirienne.

A son apogée, son aura dépasse même les frontières du continent. Le club brésilien de Santos, celui-là même où évolue Pelé, fait escale à Abidjan pour un match d’exhibition. Le score, 7-1 pour les Sud-américains, est anecdotique. L’essentiel est ailleurs : les Yéyés ont réussi à attirer le plus grand joueur de la planète, au sommet de sa gloire après deux titres mondiaux.

Luttes d’influence et désaccords de gestion

Alors qu’on aurait pu penser que Félix Houphouët-Boigny, président du pays entre 1960 et 1993, profiterait des succès du Stade d’Abidjan pour améliorer l’image de la jeune nation ivoirienne, il n’en est rien. « A rebours de ses homologues africains – Sekou Touré en Guinée, Léopold Sédar Senghor au Sénégal ou Kwame N’krumah au Ghana – qui utilisent le football comme outil de propagande et de cohésion nationale, le père de l’indépendance reste en retrait », rappelle Lassiné Coulibaly. Il n’en demeure pas moins conscient du pouvoir politique du ballon rond. M. Houphouët-Boigny place ainsi des figures proches du parti au sein du Stade, à l’image de Germain Coffi Gadeau, président du club de 1951 à 1964, puis de 1968 à 1969.

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 (Abidjan, correspondance)

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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