“Solidarité sélective : pourquoi les Noirs mauritaniens ne doivent rien au panarabisme”

On ne peut reprocher aux Noirs mauritaniens leur indifférence supposée aux événements du Moyen-Orient : une mise en contexte historique, politique et morale

Une solidarité à sens unique et un silence complice face à la souffrance noire mauritanienne

Depuis l’indépendance de la Mauritanie en 1960, les Noirs mauritaniens – notamment les communautés halpulaar, soninké et wolof – ont subi des persécutions graves :

• Déportations massives vers le Sénégal et le Mali dans les années 1989-1991,
• Exécutions extrajudiciaires d’officiers et soldats noirs dans l’armée mauritanienne,
• Esclavage persistant, principalement envers les Haratines et Noirs,
• Marginalisation linguistique et culturelle, par l’imposition de l’arabisation sans reconnaissance équitable des langues nationales.

Malgré ces drames, les élites arabo-berbères mauritaniennes, souvent sensibles aux causes panarabes, n’ont que très rarement exprimé de solidarité ou même de reconnaissance publique de ces souffrances. Aucun communiqué officiel de soutien ou de compassion ne fut émis lors des rafles, des disparitions, ou même des funérailles de masse. Ce silence a laissé une blessure profonde.

Un sentiment d’oubli et de hiérarchisation des souffrances

Il est donc compréhensible que de nombreux Noirs mauritaniens éprouvent une forme de détachement – ou à tout le moins une réserve – lorsqu’on leur demande d’embrasser sans condition des causes extérieures, comme celle du conflit israélo-palestinien.

Pourquoi leur empathie devrait-elle être automatique alors que la leur fut niée dans leur propre pays ?

Ce n’est pas de l’indifférence, mais un réflexe de protection identitaire, face à une mémoire douloureuse restée sans justice ni reconnaissance.

Des témoignages de racisme au nom de l’idéologie panarabe

Par ailleurs, il existe de nombreux témoignages documentés dénonçant des propos et comportements racistes émanant de certains milieux arabo-nationalistes, y compris dans les débats sur la Palestine :

• Des étudiants noirs dans les universités islamiques ou arabophones se sont souvent plaints de discrimination raciale.
• Certains médias ou réseaux sociaux hostiles aux Noirs ont pu relayer des propos déshumanisants ou condescendants, tout en se montrant très mobilisés pour des causes arabes.

Cela révèle un double standard moral : on attend des Noirs qu’ils fassent preuve d’une solidarité inconditionnelle envers des peuples qui, souvent, les ignorent ou les méprisent dans leur propre vécu.

Une cause étrangère qui ne doit pas être imposée

Le conflit israélo-palestinien est une tragédie humaine, complexe, douloureuse. Mais il ne peut être imposé comme un devoir moral supérieur à d’autres souffrances. Chacun est libre de s’en émouvoir ou non, selon ses convictions, son vécu, ses priorités.

Pour un Noir mauritanien ayant vu son père tué dans l’armée en 1990, sa maison détruite, sa nationalité confisquée, il est légitime de ne pas faire du Proche-Orient sa priorité morale.

Un problème arabo-israélien avant d’être africain

Enfin, d’un point de vue géopolitique, le conflit israélo-palestinien est avant tout une crise historique entre deux peuples sémitiques, aux racines et responsabilités partagées.

Il n’appartient ni aux Noirs africains, ni aux peuples opprimés ailleurs, de porter seuls les passions ou les rancunes des puissances régionales arabes.

À fortiori quand ces mêmes puissances n’ont pas levé le petit doigt pour condamner le racisme systémique contre les Noirs, que ce soit en Mauritanie, au Maghreb ou au Moyen-Orient.

La solidarité est un choix, pas une obligation. Et elle doit être réciproque.

On ne peut moralement exiger d’un peuple humilié, exilé, marginalisé de pleurer à chaque guerre étrangère, alors qu’on a piétiné sa propre dignité.

Les Noirs mauritaniens ont droit à leur propre boussole morale. Leur distance, voire leur silence sur certains conflits, n’est pas une trahison, mais un reflet d’une histoire de douleurs non reconnues. Wetov.

 

 

SY Mamadou

 

 

 

(Reçu à Kassataya.com le 23 juin 2025)

 

 

 

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