« Mon devoir de me taire (puis de parler quand c’est trop tard) » : chronique ironique sur Kane Ousmane

Le 13 juin, dans une salle feutrée de Nouakchott, Kane Ousmane Mamoudou, ancien grand commis de l’État, ex-haut responsable international, vient de découvrir un nouveau métier : celui d’opposant… à la retraite.

Avec son ouvrage « Mon devoir de servir », il nous gratifie enfin — après des décennies de loyauté feutrée et de silence stratégique — d’un regard lucide et tranchant sur les dysfonctionnements du système… qu’il a si bien servi.

Quand le silence devient courageux… à la fin

Pendant ses années aux commandes — à la BAD, à la SNIM, à la Banque centrale, au ministère — Kane Ousmane s’est fait un devoir de ne surtout rien dire publiquement de travers. Pas une note dissonante. Pas une critique. Pas un mot sur le passif humanitaire, la langue d’enseignement ou la corruption. À l’époque, l’obsession, c’était l’efficacité technocratique dans le respect de la hiérarchie politique. En clair : faire le job, et surtout ne pas trop penser à haute voix.

Mais voilà qu’après avoir manqué de peu le fauteuil de président de la BAD (que le pouvoir n’a pas soutenu), notre héros découvre soudain la vertu de la parole libre. Il dénonce, il critique, il conseille, il regrette. Il parle même de “nominations de convenance”. Le même système de convenance qui l’a pourtant hissé jusqu’aux sommets de l’appareil d’État.

Ministres à 35 ans ? Mauvaise idée… sauf s’ils me soutiennent. Dans une formule magistrale, il lâche :

« Les ministres à 35 ans, ce n’est pas une bonne idée. »

Très juste. Mais où était ce discernement quand des ministres ignares mais bien nés peuplaient les gouvernements auxquels il appartenait ? Où était cette rigueur quand des jeunes bien introduits héritaient de postes dans les banques publiques, les agences de développement et les institutions internationales, pendant que des diplômés compétents erraient sans emploi ? Ah oui, il ne fallait pas déranger la machine.

Aujourd’hui, il plaide pour le mérite. Mais le mérite de parler arrive souvent après l’échec d’une ambition.

Passif humanitaire, langue, corruption : un éclairage soudain

Kane Ousmane découvre aussi que :

• L’éducation va mal. (Mais qui était là quand on faisait semblant de réformer ?)
• Le débat sur la langue est bloqué. (Mais où était sa voix lorsque l’unilinguisme s’est renforcé au nom de l’unité ?)
• Le passif humanitaire est un frein. (Mais que disait-il quand l’État faisait dans l’oubli organisé ?)
• La corruption est destructrice. (C’est donc maintenant que l’on réalise que la voiture publique est détournée vers le domicile privé ?)

On pourrait presque croire qu’il a lu un rapport d’ONG… ou une chronique écrite par les gens qu’on accusait hier d’être des perturbateurs anti-républicains.

Un legs d’éthique… à géométrie variable

À travers ses mémoires, Kane Ousmane dit vouloir transmettre un héritage d’éthique et de rigueur à la jeunesse. Fort bien. Mais de quelle rigueur parle-t-on ?

• Celle du fonctionnaire compétent qui exécute sans broncher, même quand le politique déraille ?
• Celle du cadre prudent, qui pense dans sa tête mais se tait dans les journaux ?
• Celle de l’ambitieux discret, qui ne se découvre une conscience qu’au moment où les ambitions ne passent plus ?

Le courage politique, ce n’est pas de parler quand on est à la retraite, c’est de prendre position quand on est encore utile, visible, et influent.

Mémoires d’un silence stratégique

Dans le fond, Kane Ousmane est le symbole élégant du haut fonctionnaire mauritanien : compétent, intelligent, loyal… mais terriblement prudent.

Il n’est ni corrompu, ni médiocre. Mais il a été utile au système en gardant le silence quand il fallait parler, et en parlant quand ce silence n’avait plus de prix à payer.

Alors oui, son témoignage est utile. Mais à condition que la jeunesse ne l’imite pas. Qu’elle parle plus tôt. Qu’elle dérange plus fort. Qu’elle serve avec conscience, sans attendre que le fauteuil se vide pour devenir courageuse. Wetov.

 

 

SY Mamadou

 

 

 

(Reçu à Kassataya.com le 16 juin 2025)

 

 

 

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