
Sénégal et le plus important exploitant pétrolier du pays, Woodside Energy. Alors que l’administration fiscale réclame depuis près de deux ans 41 milliards de francs CFA (62,5 millions d’euros) au groupe australien, l’annonce par celui-ci qu’il portait l’affaire devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi) a sonné comme un coup de semonce dans le milieu des affaires dakarois.
– Ce qui n’était qu’un banal redressement fiscal menace de prendre une tournure judiciaire entre l’Etat duCette procédure en arbitrage a été lancée « compte tenu de l’absence de résolution de certaines questions », explique au Monde Afrique le bureau de Christine Forster, porte-parole de Woodside Energy. Depuis 2023, la compagnie qui exploite la plateforme de Sangomar, à 100 km au sud de Dakar, conteste ces arriérés. D’après nos informations, la redoutée direction générale des impôts et domaines, corps d’origine du président Bassirou Diomaye Faye et de son premier ministre, Ousmane Sonko, assure que Woodside Energy n’aurait pas respecté une obligation fiscale relative à une opération financière.
La firme basée à Perth affirme au contraire « être convaincue d’avoir agi conformément à la réglementation » et ajoute, comminatoire : « Il n’y a aucun impôt dû. » Le cœur du litige serait dû à des évolutions dans le régime fiscal sénégalais. Le groupe pétrolier considère que les exigences sénégalaises contreviennent à des clauses contractuelles censées protéger les investisseurs en cas de changements fiscaux ou légaux. Or entre la signature du contrat de Sangomar, en 2004, qui s’appuyait sur le code pétrolier de 1998, et les revendications des contrôleurs d’impôts, le texte régissant le secteur des hydrocarbures a changé, en 2019.
Une position « trop souverainiste »
« Dans le fond, l’affaire est technique et assez classique », observe Mamadou Gacko, avocat spécialisé en arbitrage international. Néanmoins, face à l’émoi suscité par le durcissement du bras de fer, « le signal envoyé est mauvais et l’effet réputationnel dévastateur », ajoute un consultant pétrolier à Dakar : « L’attitude des autorités est contre-productive. Leur position trop souverainiste se heurte à ces opérateurs internationaux sans qui le développement des projets d’hydrocarbures ne peut se faire au Sénégal. »
« Le Sénégal cherche toujours des investisseurs pour douze blocs pétroliers offshore », note Pape Mamadou Touré, spécialiste de la régulation pétrolière internationale. A part Sangomar et le gisement gazier sénégalo-mauritanien de Grand Tortue Ahmeyim – au cœur lui aussi d’une bataille feutrée pour la renégociation du contrat avec la major britannique BP –, aucun champ d’hydrocarbures n’est en effet exploité. Pris en tenaille entre ses « velléités, qui peuvent être légitimes, de renégocier des contrats qui lui étaient défavorables, et un souci existentiel d’attirer des groupes pétroliers », la position est délicate pour l’Etat du Sénégal, pointe le consultant pétrolier.
Elu sur la promesse d’une nouvelle éthique fondée sur la transparence et la renégociation des contrats d’hydrocarbures, le tandem au pouvoir, issu des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef, une formation panafricaniste classée à gauche), est-il assuré de l’emporter face à une entreprise aguerrie par ce genre de conflit ? Sollicités par Le Monde, ni le porte-parole du gouvernement, ni le ministre des finances, ni le ministre du pétrole n’ont souhaité réagir. Ce silence officiel traduit un certain embarras et masque mal les divisions suscitées par cette nouvelle étape, très exposée, du contentieux.
Sous le couvert de l’anonymat, un dirigeant de l’entreprise nationale Petrosen, actionnaire minoritaire de Sangomar à hauteur de 18 %, appelle à « régler ce différend autour de la table des négociations et non devant les tribunaux ». De son côté, le Comité d’orientation stratégique du pétrole et du gaz (COS-Pétrogaz), rattaché à la présidence et dont l’axe majeur est de réformer le code des hydrocarbures afin de le rendre « plus sexy pour que les majors se précipitent au Sénégal », selon les termes d’une source proche du dossier, s’agace de la tournure des événements.
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– (Le 09 juin 2025)
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