Mauritanie – «Cette étreinte n’est pas un scandale : c’est une métaphore»

Dans une société traversée par les courants profonds du conservatisme social et les balises d’un imaginaire collectif fortement encadré par la bienséance, toute image publique devient un champ sémantique chargé, une surface où se projettent les obsessions, les normes, les lignes rouges invisibles.

C’est dans cette optique qu’il convient d’appréhender la photographie qui a immortalisé Sidi Ould Tah, fraîchement élu à la tête de la Banque africaine de développement, entouré de son staff de campagne – cliché devenu viral, au point d’éclipser, un instant, l’exploit historique qu’il illustre.

Au centre de la controverse : l’accolade chaleureuse, spontanée, entre le président élu et sa porte-parole, Aïssata, saisie par l’objectif dans un moment de ferveur collective. Dans cette étreinte, les puristes n’ont vu qu’une transgression gestuelle, une dissonance avec l’éthique sociale. Ils ont oublié que l’instant photographié n’est pas un manuel de morale, mais le reflet brut d’une émotion qui déborde les cadres.

Car il ne s’agissait pas d’un geste prémédité, encore moins d’un acte à décoder selon les grilles étroites de la bienséance formelle. Il s’agissait d’un moment d’ivresse – non pas celle des sens, mais celle de l’accomplissement. Ce n’est pas un corps qui s’accroche à un autre, c’est une âme qui célèbre l’aboutissement d’une lutte, d’un engagement, d’un combat mené jour et nuit, sans relâche. Aïssata, que l’histoire officielle oubliera peut-être dans ses grandes lignes, fut pourtant l’une des chevilles ouvrières de cette campagne. Voix, relais, tacticienne, elle n’a pas dormi quand d’autres se reposaient, elle n’a pas fléchi quand l’effort paraissait titanesque.

Réduire cet instant à une lecture superficielle, c’est faire injure à la vérité du terrain, à la fatigue accumulée, à la tension relâchée, à la joie extatique. La photo n’est pas le problème : c’est le regard social, pétri de soupçons, qui voudrait l’assigner à un code moral préexistant. Mais la joie, comme la grâce, échappe aux protocoles.

Il faudrait plutôt y lire la promesse d’un temps nouveau, où le mérite féminin ne s’efface plus derrière les rideaux, où les coulisses se donnent droit de cité, où l’on célèbre ensemble, hommes et femmes, l’effort collectif – même si cela implique, le temps d’un cliché, de bousculer les convenances.

Cette étreinte n’est pas un scandale : c’est une métaphore. Celle d’une génération qui travaille, rêve et gagne ensemble. Sans demander la permission à l’ancien monde.

 

 

Mohamed Ould Echriv Echriv

 

 

 

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