
Le Point – L’administration Trump n’en finit pas de s’attaquer aux ressortissants étrangers aux États-Unis. Dans la logique entamée depuis sa prise de fonction, le locataire de la Maison-Blanche continue de durcir la politique migratoire du pays.
D’après des révélations faites par le New York Times mi-mars, une nouvelle mesure viserait à restreindre drastiquement les conditions d’entrée aux États-Unis pour les ressortissants de 43 pays. Parmi eux, 22 sont situés sur le continent africain. Si la mesure n’a pas encore été adoptée et reste soumise à modification, le département d’État a néanmoins établi une première liste qui les répartit en trois catégories : dans la catégorie rouge, les ressortissants de 11 pays (dont le Soudan, la Somalie ou encore la Syrie) sont strictement interdits de toute possibilité de voyage.
La catégorie orange concerne 10 pays (parmi lesquels la Sierra Leone, l’Érythrée, la Birmanie ou encore la Russie) dont les ressortissants sont uniquement autorisés à effectuer des voyages d’affaires aux États-Unis. Et enfin, 22 pays (dont la Mauritanie, le Bénin, la Gambie, le Tchad, le Cap Vert notamment) sont en sursis dans la liste jaune : ils doivent dans un délai de 60 jours rectifier leurs « carences sécuritaires » en partageant des informations sur les voyageurs ou bien les modalités de délivrance des passeports. Dans le cas contraire, ils seront classés en catégorie rouge.
Les nouvelles restrictions s’avèrent bien plus strictes que le « muslim ban », un décret déjà très discriminatoire envers les personnes de confession musulmane lors du premier mandat de Donald Trump en 2017. Sous le couvert de prévenir le terrorisme, la mesure interdisait l’entrée sur le sol américain aux ressortissants de sept pays à majorité musulmane (le Soudan, la Syrie, la Libye, le Yémen, l’Irak, l’Iran et la Somalie).
« Avoir un passeport soudanais, c’est des problèmes récurrents quand on voyage »
Mohamed se souvient bien de ce décret. Le Soudanais désormais âgé de 48 ans, résidant aux États-Unis depuis de nombreuses années et détenteur d’une Green Card (carte de résident permanent) est en voyage professionnel à Londres à ce moment. Son retour coïncide avec la date d’application de la mesure. « Je reçois un mail du département d’État m’informant que mon visa est révoqué », se rappelle-t-il avec calme. Suivent deux jours de confusion et de crainte où il n’a aucune certitude de pouvoir rentrer. Il réussit finalement à regagner les États-Unis sans encombre, mais en passant cependant des contrôles renforcés aux douanes. À l’inverse, plusieurs centaines de personnes se retrouvent bloquées dans les aéroports, voire arrêtées alors qu’elles disposaient de visas valides ou de Green Card. Un grand flou perdure quelque temps avant que des exemptions ne soient adoptées face à la levée de boucliers générale. Le décret sera finalement annulé par Joe Biden en 2021.
Des prémices comme un avant-goût de ce qui pourrait bien redevenir d’actualité et qui suscite l’inquiétude en Afrique, la majorité des pays concernés par la liste provisoire se trouvant sur le continent. D’autant qu’en gelant le programme d’admission des réfugiés dans le pays, l’administration Trump veut aussi stopper l’accueil des réfugiés. Or « beaucoup de Soudanais ont ou obtenaient le visa d’asile pour les USA », précise Mohamed, devenu citoyen américain depuis 2019. Le Soudan est placé dans la catégorie rouge des nouvelles restrictions, ce qui interdit tout voyage aux États-Unis. « Nous sommes déjà passés par là avant. Ce qui m’inquiète, c’est comment faire si ma famille veut me rendre visite ? Si l’un d’entre eux a besoin de venir pour raison médicale ? » questionne-t-il soucieux. Avant d’ajouter : « C’est vraiment regrettable pour beaucoup d’étudiants désireux de venir se former ici. »
En réalité, les difficultés auxquelles les ressortissants soudanais sont confrontés pour voyager sont anciennes, loin de ne se limiter qu’aux États-Unis, et se sont accentuées avec la guerre civile. Ils doivent se rendre en Égypte pour déposer leur dossier et donc s’acquitter d’une somme élevée en plus de leur frais de visa. Il est aussi fréquent que des voyageurs, soudanais ou non, s’étant rendus au Soudan dans le passé peinent à obtenir un visa pour les États-Unis. « Avoir un passeport soudanais, ce sont des problèmes récurrents quand on voyage », résume tristement Mohamed.
Depuis le 5 avril, les Sud-Soudanais sont désormais interdits de séjour aux États-Unis. Le secrétaire d’État américain Marco Rubio a annoncé la révocation de tous les visas des ressortissants du Soudan du Sud (environ 2 000 personnes, dont des étudiants et réfugiés), ainsi que la non-délivrance de nouveaux visas. Cette crise diplomatique entre les deux pays fait suite à la confusion sur l’identité d’un migrant illégal expulsé des États-Unis vers Juba. Présenté sous le nom d’un ressortissant sud-soudanais, l’homme est en réalité congolais, ce qui explique son renvoi initial par le Soudan du Sud vers les États-Unis.
Des pays jusqu’à présent épargnés visés par les restrictions de voyage
Depuis la crise migratoire connue par les États-Unis à sa frontière sud en 2022, la Mauritanie fait partie des pays dans le viseur de l’administration américaine sur la question migratoire. Sur la liste des migrants irréguliers devant être expulsés des États-Unis prochainement, environ 41 000 sont Africains. Parmi les 54 pays dont ils sont originaires, les Somaliens (4 090 migrants) et les Mauritaniens (3 822 migrants) arrivent en tête du classement.
Environ 15 000 Mauritaniens ont quitté le pays pour rejoindre les États-Unis ces trois dernières années. La répression s’accentuant sur les routes migratoires habituelles vers l’Europe, de nouveaux itinéraires sont apparus parmi lesquels la route du Nicaragua. D’après le média The Times, il y a eu une explosion d’arrivée de migrants africains en 2023 à la frontière américaine : 58 462 ont été appréhendés à la frontière, contre 13 406 en 2022. Près de 50 % étaient originaires de Mauritanie et du Sénégal en 2023.
Un changement de situation qu’a vécu Bouyasidi Youbawa. Arrivé en 2019 dans l’Ohio avec un visa touristique, le Mauritanien a vu sa situation être directement impactée. « Je travaillais dans un magasin de cigarettes et gagnais bien ma vie. Mais avec la main-d’œuvre pas chère que sont les nouveaux migrants, j’ai perdu mon travail. Mon patron a embauché un autre Mauritanien pour la moitié de mon salaire. Ça fait mal, plus encore quand c’est un concitoyen qui te prend ta place », rapporte l’homme de 40 ans. Avec le coût de la vie devenu trop élevé, lui et sa femme quittent leur maison de Farmville pour rentrer à Nouakchott en août 2024.
« Les arrivées massives de migrants mauritaniens sont devenues un problème pour les Mauritaniens sur place. Et les coups de feu tirés par un Mauritanien sur une personne de confession juive en octobre 2024 ont encore plus attiré la lumière sur nous alors que nous n’avions aucun problème auparavant », rapporte-t-il. Huit mille Mauritaniens résident légalement dans le pays, dont trois mille dans l’Ohio. Un grand nombre est arrivé dans les années 1990 comme réfugiés après les affrontements entre la Mauritanie et le Sénégal.
Inscrite dans la catégorie jaune des nouvelles restrictions de voyage aux États-Unis, la Mauritanie doit fournir plus d’informations sécuritaires pour ne pas être classée dans la catégorie rouge. Mais M. Youbawa est dubitatif : « Beaucoup de passeports ne sont pas sécurisés. La Mauritanie doit négocier mais elle manque de volonté », avance-t-il. L’infographiste l’assure pourtant : un classement du pays dans la liste rouge aurait de lourdes répercussions économiques.
« Beaucoup de Mauritaniens font du business avec les États-Unis, ils font venir des conteneurs remplis de matériels d’occasion comme des voitures ou des nouvelles technologies. L’occasion est un gros marché entre les deux pays », argumente-t-il. Autre secteur qui risque d’être très touché, celui de la pêche, plusieurs entreprises américaines se fournissant en poisson pêché localement. Les pertes envisagées s’annoncent donc lourdes.
Source : Le Point (France)
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