Les défis de Sidi Ould Tah, nouveau président de la Banque africaine de développement

L’ancien ministre de l’économie mauritanienne dit s’inscrire dans la continuité des grandes priorités définies par son prédécesseur pour transformer le continent. Il devra composer avec le désengagement des Etats-Unis des mécanismes d’aide au développement.

Le Monde – Le dernier candidat à être sorti du bois aura finalement coiffé tous ses adversaires sur le poteau. Sidi Ould Tah a été élu, ce jeudi 29 mai, président de la Banque africaine de développement (BAD) lors des assemblées annuelles de l’institution panafricaine. Le Mauritanien, qui a officialisé sa candidature quelques jours avant la date butoir, succède au nigérian Akinwumi Adesina, dont le deuxième mandat s’achève officiellement le 31 août.

Il n’aura fallu que trois tours pour départager les cinq candidats à la présidence de la BAD. Avec 76,18 % des voix, Sidi Ould Tah l’a emporté largement face au Zambien Samuel Maimbo (20,26 %) et au Sénégalais Amadou Hott (3,55 %). En 2015, six tours avaient été nécessaires pour élire Akinwumi Adesina avec 58,1 % des voix.

A 60 ans, Sidi Ould Tah devient le 9e président de la « cheffe de file » des institutions du continent. Une consécration pour ce technocrate discret, dont l’ascension s’est faite loin des projecteurs. Issu d’une famille d’intellectuels, il grandit au contact du pouvoir, fréquentant les couloirs du palais présidentiel dès son plus jeune âge. Titulaire d’un doctorat en économie de l’université de Nice-Sophia-Antipolis, il fait ses armes dans le secteur bancaire public avant de revenir au pays, où il est nommé ministre de l’économie en 2008. Dans une Mauritanie traversée par l’instabilité politique, Sidi Ould Tah demeure en poste, indéboulonnable.

Dans la continuité

 

En 2015, il prend les rênes de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea), banque multilatérale à destination de la coopération arabo-africaine. Sous sa houlette, l’institution change de dimension. Ses investissements ont atteint un record de 2,2 milliards de dollars (1,9 milliard d’euros) en 2023, contre une moyenne de seulement 250 millions de dollars auparavant. Le capital de la Badea a, lui, été multiplié par près de cinq, passant de 4,2 milliards à 20 milliards de dollars. « C’est un leader, stratège, pragmatique et très ouvert aux partenariats innovants », confie Daouda Sembene, fondateur du cercle de pensée AfriCatalyst Global Development Advisory, qui a travaillé avec lui à plusieurs reprises.

Fort de ce bilan, Sidi Ould Tah entend s’inscrire dans la continuité des grandes priorités définies par son prédécesseur, les fameux « High 5 » — cinq piliers pour transformer le continent : électrifier l’Afrique, la nourrir, l’industrialiser, l’intégrer et améliorer la qualité de vie de ses habitants. Un programme salué pour ses résultats : selon la BAD, il aurait déjà touché plus de 565 millions de personnes.

Mais les défis restent immenses. Nourrir l’Afrique, par exemple, demeure un objectif lointain. Le continent est encore trop dépendant des importations alimentaires. En 2025, près de 320 millions d’Africains souffrent de malnutrition, selon la BAD. Pour y remédier, Sidi Ould Tah mise sur une industrialisation du modèle agricole en y incluant davantage les jeunes et surtout les femmes. « Au rythme actuel, l’Afrique n’atteindra pas une inclusion économique et financière complète des femmes avant 2093, explique Mona Iddrisu, responsable du programme emploi des jeunes à l’African Center for Economic Transformation (ACET), un cercle de réflexion ghanéen. Il est donc essentiel que le président porte ce sujet. »

Désengagement progressif des Etats-Unis

Sa position est jugée beaucoup moins ambitieuse sur la question de la souveraineté énergétique. Le Mauritanien compte électrifier les zones rurales sans alourdir la dette publique. « Dans certains pays, moins de 20 % de la population a accès à l’électricité, accentuant les inégalités, pointe Alban Alphonse Ahoure, président du Capec, une cellule d’analyse basée à Abidjan à destination des institutions nationales et internationales. Or, l’énergie est un prérequis pour l’éducation, l’innovation agricole… Sans électricité, il est illusoire d’espérer une amélioration durable de la productivité ou des conditions de vie. »

Reste que l’environnement économique ne facilite pas les choses. En 2024, les pays africains ont consacré 163 milliards de dollars au service de leur dette d’après la BAD. Soit une hausse de 167 % par rapport à 2010. Cette contrainte pèse lourdement sur leurs capacités d’investissement. Le désengagement progressif des Etats-Unis des mécanismes d’aide au développement vient encore compliquer la donne. Washington envisage même de retirer sa contribution de 550 millions de dollars au Fonds africain de développement (FAD), qui finance les projets sociaux et climatiques dans les 27 pays africains les plus vulnérables.

Face à cette équation financière complexe, Sidi Ould Tah compte mobiliser des capitaux privés et institutionnels afin de multiplier par dix l’impact de chaque investissement de la BAD. Fonds de pension (près de 2 000 milliards de dollars sous gestion en Afrique), fonds souverains – notamment du Golfe –, compagnies d’assurances et diaspora africaine : tous sont appelés à jouer un rôle actif dans la transformation économique du continent. Mais encore faut-il les convaincre. Le nouveau président en est conscient : la BAD devra renforcer son rôle de catalyseur et de garant, pour rassurer des investisseurs frileux face aux incertitudes du marché africain.

 

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

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