
Chaque saison de pèlerinage nous offre son lot de drames, de dévotions… et de dérives. Cette année, pendant que les pèlerins mauritaniens, dignes dans leur ihram, se faisaient humer par des bergers allemands à Médine, c’est une autre odeur qui a chatouillé les narines de l’opinion : celle d’un parfum de favoritisme cousu main.
La photo a tourné. Elle a fait le tour du pays. Dans l’avion du premier convoi vers les Lieux Saints, en plein milieu des visages anonymes de futurs hadjis, un visage familier : la sœur du ministre des Affaires islamiques. Oui, celle-là même, ancienne ministre, assise en classe pieux privilège, direction la Kaaba. Et depuis, c’est la fitna médiatique. Certains crient au népotisme, d’autres au manque d’élégance. Tous, ou presque, s’accordent à dire que ça sent pas la rose, même à Médine.
Car voilà le hic : ce n’est pas illégal, non. Le ministre a, dans sa besace réglementaire, un quota de sièges. Ce qui l’est moins, c’est l’usage symbolique de ces sièges dans une République où l’apparence pèse parfois plus que le péché. Une ancienne ministre, sœur du ministre en fonction, qui part au pèlerinage, ce n’est pas une infraction, c’est une imprudence politique. Et dans un pays où les chiens fouillent les croyants et où l’image vaut condamnation, cela relève d’un suicide en tapis volant.
Qu’on nous comprenne bien : personne ici ne veut empêcher quiconque d’accomplir le cinquième pilier de l’Islam. Mais quand on est proche du pouvoir, et mieux encore, proche d’un ministre, on se doit d’avoir cette pudeur d’État, cette retenue républicaine qu’on appelait jadis « vertu ». D’autant plus quand on a déjà goûté aux ors du Conseil des ministres. Ce n’est pas le Haj qui est en cause. C’est le moment, le symbole, la perception. Et dans ce pays, la perception est plus tranchante qu’un décret.
On se rappelle – à juste titre – de cette ancienne ministre de l’Éducation, droite dans ses babouches, qui avait demandé à ce que le nom de sa sœur soit retiré de la liste des boursiers, alors même qu’elle y figurait par mérite académique. Ce geste, discret mais digne, est devenu une référence d’éthique administrative. Pourquoi la sœur du ministre des Affaires islamiques n’a-t-elle pas eu cette décence-là ? À défaut de retenue, elle aurait au moins pu éviter de s’afficher dans le vol inaugural, celui que tout le monde regarde comme le défilé des privilèges.
Et maintenant ? Voilà un ministre qu’on livre à la vindicte, pas pour faute administrative, mais pour maladresse symbolique. Et on sait comment ça finit souvent chez nous…Le pouvoir est un manège, et personne n’y reste sans vertige.
En attendant, pendant que certains font la queue pieds nus pour un visa, d’autres montent dans l’avion familial avec bénédiction et escorte.
Ce n’est pas la sœur du ministre qui a fauté. C’est la République qui n’a toujours pas appris à séparer l’État de la famille. Et tant que le Hadj sera un terrain d’accumulation symbolique, on aura toujours des scandales en sandales.
Mohamed Ould Echriv Echriv
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