LE PATRIARCAT TUE

A chaque nouveau crime sordide, les excuses, les circonstances atténuantes pour les meurtriers, violeurs. Aux victimes, la peur, la stigmatisation, l’effacement. Dans les sphères privées comme publiques, le suturë fait loi.

Drame conjugal

C’est le commentaire qu’une jeune femme a fait pour déplorer le féminicide d’une adolescente de 16 ans, que ‘’son époux’’ a tuée parce que – oui l’article de journal donne une raison – elle ne lui a pas servi de l’eau. L’autrice de ce commentaire s’est vue vilipendée et attaquée sur Twitter. Quand j’ai commenté ‘’tuée pour n’avoir pas servi de l’eau a son mari’’, un ami a répliqué, ‘’servir c’est bien, tuer non’’

Deux jours après ce fait divers, rapporté dans le journal, un autre fait, divers, est relayé. Un homme qui étrangle sa femme et s’allonge tout de même avec sa dépouille toute une nuit, raison invoquée – oui, encore, c’est une récurrence–  la jalousie.

Quatre jours après ce fait, un autre, drame conjugal a titré le journal. Un homme aurait tué sa femme d’un coup de feu. Une enquête a été ouverte.

Je pourrais parcourir la presse tous les jours et trouver tous les jours des cas de féminicides, d’agressions sexuelles, de coups sur des femmes. C’est une violence chronique, systémique, répandue, des toutes petites filles aux femmes âgées, de toutes catégories et conditions sociales ; subir la violence des mains d’hommes de l’entourage (en général) et se taire et se résigner.

Quand j’ai envisagé d’écrire cet article, je me suis souvenu de campagnes successives de dénonciation des agressions sexuelles sur les réseaux sociaux, ‘StopTontonSaiSai, Noppiwuma, Doyna.

Lors de chacune de ces campagnes, j’ai voulu témoigner des agressions subies, depuis toute petite, des inconnus, voisins, oncles qui ont tenté à maintes reprises de m’attirer dans un coin de rue, dans leur chambre, etc. J’avais 7 ans, 14 ans, 20 ans.

J’ai pensé à la liste interminable de victimes de violences basées sur le genre, relayées dans la presse, des faits divers toujours. SS (6 ans), NSD (8 ans), PD (10 ans), BP (14 ans), BC (23 ans), ML (28 ans), FN (34 ans), AT (49ans), YC (56 ans), MN (62 ans).

J’ai repensé à cette médecin indienne, agressée sexuellement et tuée par de nombreux hommes sur son lieu de travail en août 2024, des personnes avec qui elle a dû parler souvent, rire ou juste échanger ; à l’athlète Ougandaise, championne olympique Rebecca Cheptegei, aspergée d’essence et immolée par son compagnon, devant ses filles ; à Gisèle Pelicot du nom de cette femme de 72 ans (69 au moment des faits) qui a découvert par le plus grand des hasards que son mari, Dominique Pelicot la droguait depuis des années et la livrait à d’autres hommes pour qu’ils abusent d’elle, 50 violeurs de différents âge, conditions sociales, ‘’races’’.

Ces faits de société ne rendent même pas compte de l’omniprésence de ces abus et de l’injonction au silence qui les entourent. Aux hommes, perpétrateurs, la réhabilitation sociale, la préservation de leur réputation, de la cohésion de leur famille. Aux victimes, la peur, la stigmatisation, la silenciation, l’effacement, la disparition. Tout le monde participe de cette silenciation. Dans les sphères privées comme publiques, le suturë fait loi. Il s’opère dans la perception et le traitement des informations. Les crimes sont ‘’crapuleux’’ et ‘’passionnels’’. La victime est ‘‘épouse’’ et le meurtrier ‘’époux ‘’. Ce dernier est toujours ‘’provoqué’’, ‘’jaloux’’, son épouse n’a pas cuisiné ou elle est allée au marché.

A chaque nouveau crime sordide, à chaque meurtre, viol, agression relatés dans la presse, l’apologie, les excuses, les circonstances atténuantes pour les meurtriers, violeurs et batteurs de femmes.

Pas tous les hommes !!

Pourtant, Il y a de bons hommes, décents, qui ne feraient jamais de mal à une femme, parce que la femme est mère, sœur, fille et épouse. Les hommes sont nos pères, frères et maris. Ils protègent et entretiennent. Ils s’assurent que leurs ‘’femmes’’ ne manquent de rien et que rien ne leur survienne.

Les bons hommes sont les gardiens des traditions, ils s’inquiètent de nos bonnes mœurs, surveillent l’agenda des féministes, cette horde de harpies délurées en mal d’amour, financées par l’Occident et qui veulent corrompre et détourner la jeunesse. Ces hommes, bons nous rappellent, à nous les harpies, que nous devons être plus douces et plus pédagogues dans nos revendications de ne pas être tuée ou violée.

D’ailleurs, la place de la femme est à la cuisine. Il est bon, un exercice nécessaire à la cohésion sociale, de le rappeler. Les hommes bons donc, se plient à cet exercice, ils nous donnent leur avis toujours éclairé sur comment être une femme. Les femmes, naturellement épouses et mères ont l’assignation de servir et faire plaisir, par la cuisine, les tâches domestiques, la disponibilité, les soins. Donc quand un mari demande à être servi il faut s’exécuter, au risque de se faire bastonner et d’y laisser la vie. Les hommes ne peuvent pas se contrôler, ils ont trop de pression, trop de charges. Les femmes doivent les aider à ne pas être violents, bien les nourrir, être disponibles tout le temps pour tout, jigeen mooy defar goo !!!

Et voilà comment, on assigne à la femme d’apporter un remède à un mal dont elle ne souffre pas. Goor ni noo feebar waaye jigeen yeey feju! Disait Aicha.

‘’Le patriarcat tue’’.

La banalisation et la normalisation de la violence sexiste, l’effacement des espaces publics, le contrôle des femmes, la soumission exigée d’elles, font le lit des abus, des agressions sexuelles et des féminicides.

Le patriarcat tue

Le patriarcat est violent, il tue, il écrase et empêche le progrès des femmes et des hommes. Les injonctions au silence et l’effacement sont aussi le lot de garçons et d’hommes qui subissent des violences autant de la part d’autres hommes que de femmes. Je me souviens encore des plaisanteries de mauvais goût sur l’Association des hommes battus (j’en ai moi-même ries à l’époque), des blagues graveleuses sur les jeunes garçons et adolescents qui sont agressés sexuellement par des femmes plus âgées.

Le patriarcat tue !!!

Toute société qui veut progresser et avancer doit prendre en charge cette question au risque de voir la moitié de sa force vive réduite en état de servitude, de se priver de son génie créateur et de sa contribution essentielle au progrès et au développement socio-économique.

C’est aussi un impératif pour sauver nos garçons et adolescents de l’idéologie masculiniste auto-destructrice qui les transforme en automates désincarnés sans sentiments ni états d’âme.

En attendant une réponse politique, les bons hommes peuvent commencer à éduquer. A marteler à leurs garçons et frères, comme c’est la norme avec les femmes et leurs devoirs, qu’ils ont le devoir d’être des hommes décents et que le corps des femmes ne leur appartient pas. Que balayer du revers de la main cette vérité élémentaire est un premier pas dangereux vers l’abus, l’agression sexuelle et l’assassinat d’une fille/adolescente/femme. Nier cette réalité est le début de l’apologie. Pour les filles, ils peuvent commencer à les aimer aussi, à croire en elles et en leur capacité à se réaliser en dehors du mariage et de l’économie domestique.

 

 

 

Ndeye Debo Seck

 

 

Source : Seneplus (Sénégal)- Le 19 mai 2025

 

 

 

 

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