Cent jours de Donald Trump : en diplomatie, un président velléitaire rattrapé par la réalité

Sur les trois dossiers critiques du moment, l’Ukraine, la bande de Gaza et le nucléaire iranien, les propositions du président américain, portées par un conseiller inexpérimenté, ne produisent guère de résultats en ce début de mandat.

Le Monde  – Il a fallu attendre la mort du pape François pour que Donald Trump s’aventure hors des frontières américaines. Le déplacement du président pour les funérailles au Vatican, le 26 avril, a précédé de peu une tournée au Moyen-Orient, prévue à la mi-mai. En majesté, Donald Trump préfère recevoir à la Maison Blanche. Le bureau Ovale est transformé en studio de télévision où défilent les invités, avec plus ou moins de bonheur. Prisant les conférences de presse improvisées, assis dans son large fauteuil, Donald Trump signe des décrets, complimente, menace, insulte, augmente et baisse les droits de douane, change d’avis en revendiquant sa cohérence, méprise les alliés traditionnels des Etats-Unis, développe un discours impérialiste inédit.

Ses propos sur le Canada, qu’il rêve en 51e Etat, ou sur le Groenland, ne doivent pas être jugés à l’aune de résultats. Ils expriment une ambiance nouvelle à Washington, une nostalgie – celle d’une extension territoriale – et un abandon de la culture du droit international. Ils abîment aussi la réputation américaine de façon inédite depuis la guerre en Irak, lancée par George W. Bush. « Ce que dit Trump, sa volonté de revenir à une forteresse Amérique détachée de ses engagements lointains, est en forte résonance avec la grande stratégie du pays avant la seconde guerre mondiale, souligne Charles Kupchan, du cercle de réflexion Council on Foreign Relations. Cette grande stratégie, de la fin du XVIIIe siècle jusqu’à Pearl Harbor, fut pour l’essentiel isolationniste, unilatéraliste, protectionniste et anti-immigrés. » Le monde a changé depuis. Le redressement national que prétend organiser Donald Trump ressemble davantage à une automutilation américaine.

Deux revanches se mêlent chez le président de 78 ans : celle d’un repris de justice, condamné dans l’affaire Stormy Daniels, mais sans peine retenue ; et celle à laquelle aurait droit son pays, abusé de toutes parts sur un plan sécuritaire et commercial depuis des décennies, selon le récit qu’il promeut. Il réhabilite la notion de zones d’influence au profit des grandes puissances. Seules comptent les ressources naturelles, la balance commerciale, la facture de la protection militaire américaine. Donald Trump se prétend maître en négociations. Son rêve ultime ? Le prix Nobel de la paix, obtenu par Barack Obama en 2009. Mais les promesses de gloire ou de plateau télévisé se heurtent à la réalité, en ce début de mandat.

Soumission et amateurisme

Main droite sur le cœur : c’est ainsi que Steve Witkoff a salué l’arrivée de Vladimir Poutine à la bibliothèque présidentielle de Saint-Pétersbourg pour un nouveau tête-à-tête, le 11 avril. L’envoyé spécial et ami de Donald Trump pensait sans doute exprimer une cordialité. La portée symbolique du geste disait plutôt une forme de soumission et d’amateurisme. Rien de cela n’est une surprise. Steve Witkoff découvre la diplomatie depuis janvier. Alors que le département d’Etat est marginalisé et réduit, le président américain a fait de cet ancien magnat de l’immobilier son homme de confiance dans les dossiers sensibles : la guerre en Ukraine, le nucléaire iranien et le conflit dans la bande de Gaza.

Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, dans le bureau Ovale de la Maison Blanche, le 7 avril 2025.

Les trois partagent des points communs. L’empressement américain à obtenir des résultats à tout prix n’a d’égal qu’une stratégie erratique, survolant les détails complexes. Steve Witkoff a face à lui les négociateurs les plus madrés au monde, russes et iraniens, ainsi qu’un conflit israélo-palestinien qui a épuisé des générations de diplomates. « L’administration ne semble pas avoir de plan clair au-delà des cinq minutes à venir, avance Charles Kupchan. Je crois que Trump estime, depuis sa réélection, qu’il a toujours eu raison seul contre tous, et en particulier contre les supposés adultes, ces professionnels qui l’entouraient pendant son premier mandat, et qu’il ne veut plus voir. Pour lui, toute expertise relève de l’Etat profond. »

La guerre en Ukraine est le premier théâtre de cet effort diplomatique brouillon, qui rebat les cartes, crée de l’incertitude, mais sans stratégie. L’idée d’un camp occidental a vécu. Là où Joe Biden avait refusé d’envisager publiquement une issue au conflit, en laissant ce soin aux Ukrainiens, Donald Trump a choisi l’option inverse : forcer la sortie. Pendant la campagne, il avait promis une résolution « en vingt-quatre heures », une « négociation très facile » grâce à sa bonne relation personnelle avec Vladimir Poutine. « J’étais un peu sarcastique quand j’ai dit ça », a-t-il fini par reconnaître sur Fox News, le 16 mars.

« On doit jouer le jeu pour apparaître constructifs »

Le résultat est bien mince : une courte pause dans les frappes russes sur les infrastructures essentielles, une circulation préservée en mer Noire. Et ? Rien. Des paroles, des pressions essentiellement sur Kiev, et, du côté des protagonistes, une même préoccupation : ne pas apparaître responsable de l’échec diplomatique aux yeux de Trump. Il faut donc entretenir la conversation, donner le sentiment d’être pragmatique. Côté russe, Vladimir Poutine a ainsi offert un privilège protocolaire exceptionnel en recevant à quatre reprises, et longuement, Steve Witkoff. Un effort intéressé. La Russie demande aux Etats-Unis de reconnaître que la Crimée, annexée en 2014 par Moscou, est définitivement russe et de valider son contrôle – incomplet – des quatre régions de l’est et du sud de l’Ukraine, prises en 2022. Un tel geste, s’il était consenti par Washington, provoquerait une fracture irrémédiable avec les Européens, entérinant une violation majeure du droit international.

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 (Washington, correspondant)

 

 

 

Source : Le Monde 

 

 

 

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