Le football soudanais réfugié en Mauritanie pour échapper à la guerre

Exilées à Nouakchott, deux équipes d’Omdurman, la banlieue de Khartoum, ont été accueillies dans le championnat mauritanien. Le sport reste pour les joueurs un des derniers réconforts, avec la famille, bien souvent dispersée dans d’autres pays.

Le Monde – Chaque jour, immanquablement, Muhamed Abdelrahman, 31 ans, consulte depuis sa chambre d’hôtel de Nouakchott, la capitale de la Mauritanie, les sites d’information et les réseaux sociaux, avec l’espoir d’y lire des nouvelles laissant entrevoir une issue à la guerre qui frappe le Soudan, son pays. « Parfois, j’ai l’impression que les choses vont s’améliorer, que nous pourrons bientôt rentrer, raconte, enjoué, le capitaine d’Al-Hilal Omdurman, cinquante-cinq fois international sous les couleurs du Soudan. Mais très vite, les mauvaises nouvelles arrivent, et je comprends que c’est loin d’être fini, qu’il faudra encore attendre, s’inquiéter pour mes proches qui sont encore là-bas. »

Depuis juillet 2024, Al-Hilal et son grand rival Al-Merreikh – tous deux basé à Omdurman, la ville jumelle, de l’autre côté du Nil, de Khartoum, la capitale –, respectivement trente et vingt-trois fois vainqueurs de la Premier League soudanaise, ont trouvé refuge en Mauritanie, invités par la fédération de ce pays à participer au championnat local. Loin de la guerre civile qui oppose l’armée du général Al-Bourhane aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti ».

Depuis le début des affrontements, et avant d’accepter l’hospitalité mauritanienne, les deux clubs ont connu un exil incessant, comme le rappelle Florent Ibenge, l’entraîneur franco-congolais d’Al-Hilal, présent à Omdurman lorsque les combats ont commencé. « J’ai quitté le Soudan avec ma femme et une de mes filles avec 500 dollars en poche et une petite valise. Les joueurs avaient réussi à partir aussi. Pendant plus d’un an, nous avons séjourné en Egypte, en Arabie saoudite, en Maroc, en Tanzanie, au Rwanda », explique l’ancien sélectionneur des Léopards congolais.

Les rivaux d’Al-Merreikh ont également connu les chemins de l’exil, et aujourd’hui, les deux clubs séjournent dans deux hôtels de la capitale mauritanienne distants d’à peine 500 mètres. Florent Ibenge, malgré plusieurs sollicitations d’autres clubs, n’a jamais envisagé de quitter Al-Hilal. « Je ne voulais pas laisser cet effectif où les mecs sont exceptionnels, admirables de courage. Certains ont perdu des parents, ils vivent dans une angoisse permanente, et malgré cela, ils arrivent à obtenir des résultats extraordinaires », apprécie le technicien.

« Au bord de la rupture »

Son équipe a ainsi atteint les quarts de finale de la Ligue des champions africaine, alors que la sélection nationale, majoritairement composée de joueurs d’Al-Hilal et d’Al-Merreikh, s’est qualifiée pour le Championnat d’Afrique des nations prévue en août, la Coupe d’Afrique des nations 2025 au Maroc, et peut encore espérer disputer la Coupe du monde 2026.

Ces performances suscitent l’admiration de Hassan Ali Essa, secrétaire général du conseil d’administration d’Al-Hilal, professeur de lettres à l’université de Khartoum et aujourd’hui réfugié au Caire, où il continue d’enseigner. « Les joueurs ont la tête ailleurs, ils sont évidemment perturbés, et pourtant, ils arrivent à surmonter cela quand ils sont sur le terrain, à oublier qu’ils ont perdu des proches. Ceux qui sont mariés, qui ont des enfants, ne les voient presque jamais, mais ils jouent pour les Soudanais qui souffrent », explique le dirigeant dans un français parfait.

Le club d’Al-Hilal, présidé par Hesham Hassan Al Subat, richissime homme d’affaires soudanais ayant fait fortune dans le secteur pétrolier, parvient à payer les salaires tous les mois, et a fait appel à un psychologue, pour apporter un soutien aux joueurs et à l’encadrement. Des discussions collectives et individuelles – pour ceux qui en éprouvaient le besoin – ont été menées à plusieurs occasions. « On fait le maximum pour qu’ils se sentent mieux, parce que certains sont parfois au bord de la rupture », poursuit Hassan Ali Essa.

Khaled Bakhit, l’entraîneur adjoint d’Al-Hilal, fait partie de ceux qui ont le plus souffert de ce conflit dévastateur dont personne ne voit l’issue. L’ancien international soudanais a perdu son père et son frère aîné. « Quand on fait partie de l’encadrement technique, on doit aussi être attentif aux autres, notamment aux joueurs, surtout les plus jeunes, peut-être plus vulnérables. Certains n’ont pas de nouvelles de proches, ne savent pas s’ils sont encore vivants. Moi, je devais gérer ces deuils, tout en faisant le maximum pour faire sortir ma femme et mes enfants du Soudan. Cela a pris un an, ils sont aujourd’hui au Qatar », dit-il. Pour mettre une partie de sa famille à l’abri, Khaled Bakhit avait pu effectuer une brève visite au Soudan en décembre 2023. « Certains joueurs ont pu le faire, mais on ne reste jamais longtemps, c’est trop dangereux. »

Les matches d’Al-Hilal sur la scène continentale ou ceux de la sélection nationale, qui a disputé ses derniers matches « à domicile » à Benghazi en Libye, permettent aux joueurs soudanais de renouer un lien, même furtif, avec leur famille ou tout simplement leurs compatriotes. Mohamed Abdelrahman a ainsi pu revoir ses parents le 31 mars au Caire, à l’occasion du match de Ligue des champions face à Al-Ahly, un club de la capitale égyptienne. « Je ne les avais pas revus depuis près de deux ans. On a passé peut-être deux heures ensemble, c’est peu, mais nous étions tellement heureux de nous retrouver », explique l’attaquant.

« On rebâtira tout »

Quand les Faucons de Jediane reçoivent à Benghazi, ils peuvent aussi compter sur le soutien de milliers de compatriotes installés en Libye, comme lors des deux matches disputés au mois de mars face au Sénégal (0-0) et au Soudan du Sud (1-1) en qualifications pour la Coupe du monde. « Ils jouent pour tous les Soudanais, car le foot est une des seules choses qui peut leur apporter un peu de réconfort », plaide Hassan Ali Essa.

A Nouakchott, la vie s’écoule entre les matches, les entraînements, les temps de repos et ceux passés au téléphone avec les proches. « Parfois, en pleine discussion, la communication coupe à cause des bombardements et vous vivez dans l’angoisse pendant des heures, des jours entiers », relate Khaled Bakhit.

« Les joueurs soudanais ne restent pas entre eux, les étrangers de l’effectif sont très bien intégrés. Ils vont à la plage, boire un café, regardent des matches ensemble. Ils retrouvent de temps en temps ceux d’Al-Merreikh, explique l’entraîneur Florent Ibenge. Ils savent qu’un jour ou l’autre, les combats cesseront et qu’ils pourront rentrer dans leur pays, où il y aura tant de choses à reconstruire. » Hassan Ali Essa détaille l’ampleur des travaux : « Les hôpitaux, l’éducation, l’eau, l’électricité… Tout cela ne fonctionne quasiment plus. Nos maisons ont été pillées, parfois détruites, le pays est mal en point, mais on rebâtira tout. »

La fédération soudanaise espère organiser en juin des éliminatoires pour désigner les équipes qui participeront à la Ligue des champions et à la Coupe de la confédération africaine de football la saison prochaine. En Erythrée, en Tanzanie, ou peut-être au Soudan, puisque les dirigeants du football africain réfléchissent à la possibilité de faire jouer à Karima, au nord du pays, ou à Guedaref, à l’est, des villes peu touchées par les combats. Dans ce pays martyrisé par deux ans de guerre, certaines équipes parviennent malgré tout à disputer des matches officiels.

 

 

 

 

 

 

Source : Le Monde  – (Le 29 avril 2025)

 

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page