
Le Soleil – Depuis plus de quarante ans, sa voix universelle et familière résonne comme un fil tendu entre les générations. Ni flamboyant ni effacé, Omar Pène s’est imposé sans bruit comme l’une des figures les plus constantes et les plus respectées de la musique sénégalaise. Chanteur du réel, artisan du mot juste, il a traversé les époques avec une fidélité rare à ses valeurs : chanter pour éveiller, porter la voix des sans-voix. Né dans les quartiers populaires de Dakar, marqué très tôt par l’épreuve, il a trouvé dans la musique une manière de dire le monde, avec pudeur, force et humanité. Son parcours est celui d’un homme debout, dont chaque note porte un fragment de mémoire collective.
Écrire sur Omar Pène aujourd’hui, c’est prêter l’oreille à une voix qui a traversé le tumulte sans jamais perdre son timbre. C’est suivre les battements d’un cœur qui a chanté les espoirs d’un peuple, dans la ferveur comme dans la peine. C’est une voix que le temps ne peut dissiper. Il est né un 28 décembre 1955, à Dakar, au Repos Mandel (actuel Hôpital Abass Ndao de la Gueule Tapée), un nom presque prémonitoire pour un homme dont la voix n’aura jamais vraiment connu le repos.
À peine a-t-il ouvert les yeux sur le monde qu’on le dépose dans les bras chauds et patients de sa grand-mère, Mame Sagar. C’est auprès d’elle, dans cette tendresse maternelle tissée de contes et de prières, que le petit Omar découvre la douceur des choses. Il la chantera plus tard, comme on rend grâce à une source. Mais les saisons d’enfance ont leurs ruptures. Un jour, son père vient le chercher pour le ramener à Dieuppeul.
La maison paternelle, marquée par l’ombre d’une marâtre, devient vite inhabitable. À treize ans, Omar prend la tangente. Il s’arrache au foyer comme on s’arrache à une illusion. Il devient un enfant des rues, un passager des seuils. Il dort à gauche, vit à droite, cherche un abri dans les regards amis. Entre Dieuppeul et Derklé, il apprend la débrouille, la solitude, la fierté d’exister sans plier.
Un gamin fugueur, assoiffé de savoir
Cette errance blessée nourrira « Woudiou Yaye», un cri sans colère, mais avec cette profondeur qui ne s’invente pas. Ce gamin fugueur, assoiffé de savoir, se raccroche aux livres comme à des radeaux. Et puis un soir, sur un banc du quartier Castors, il trouve ses premiers compagnons d’âme : Bob Sène, qui gratte sa guitare, Aziz Seck, percussionniste de fortune, et lui, Omar, qui laisse sortir cette voix qu’il ne sait pas encore magique.
Ils jouent, ils chantent, ils rient. Parfois, il participe à des séances de « kassak », gagne quelques pièces, de quoi acheter du thé, des mots, des moments. Puis, un jour de 1972, le destin pousse la porte sous les traits d’un homme : Baïla Diagne. Il entend Omar, il l’écoute. Il lui tend la main pour l’introduire au Kad Orchestra. Mais Omar refuse. Ce qu’il veut, c’est le foot, c’est le Jaraaf, c’est la pelouse, pas la scène. Il résiste. Puis cède.
Le Kad Orchestra éclate en 1975
Sous la pression douce de ses amis, il se présente, chante « Tolou Baye Demba », et la musique scelle son sort. Ce morceau, il le reprendra plus tard sous le titre de « Bita bann ». L’enfant qui voulait courir devient celui qui va faire chanter une génération. Le Kad Orchestra éclate en 1975, mais l’aventure, elle, ne fait que commencer. Baïla rassemble les siens, invente un nouveau rêve. Il réunit autour de lui Adama Faye, Khalipha Fall, Baye Diagne, Bassirou Diagne… et Omar Pène, encore vert, encore timide.
Amadou KÉBÉ
Source : Le Soleil (Sénégal)
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