Au Sahara, réfugiés depuis trop longtemps

Alors qu’un nombre croissant de pays se prononcent en faveur du plan proposé par le Maroc et retirent leur soutien à la République arabe sahraouie démocratique (RASD), l’écrivain mauritanien Mbarek Ould Beyrouk estime que le conflit doit cesser, d’abord et avant tout dans l’intérêt des populations du Sahara.

Jeune Afrique – Ils vivent au milieu du silence et, au-dessus de leurs têtes, d’énormes fracas qu’ils ne savent plus entendre. Ils sombrent peu à peu dans l’interminable quotidien, parce qu’ils ne voient plus de lendemains qui s’annoncent. Il y a longtemps qu’ils ont oublié les vieux slogans que des patriarches profèrent encore timidement, il y a longtemps qu’ils ont enterré leurs héros et ne croient plus qu’aux citernes qui les fournissent en eau et aux aides alimentaires qui leur sont distribuées. Ils sont oubliés alors que, dans toutes les assemblées africaines, des inconnus empruntent leur voix.

Cinquante ans ! Cinquante ans qu’ils attendent sans plus savoir ce qui les attend. La majorité d’entre eux est née ici, sous ces tentes mal dressées, dans ces cabanes, dans ces chambres construites en pisé. Ils n’ont jamais connu d’autre vie que celle des camps. Les réfugiés sahraouis sont les victimes expiatoires d’un conflit qui, cela devient de plus en plus clair, les dépasse largement.

On les a parqués au milieu du désert, et des personnes, pas toujours vraiment issues de leurs rangs, sont allées réclamer en leur nom un État auquel ils n’ont jamais cru. Car, au début, c’était au nom de leurs tribus seulement qu’on les avait entraînés dans une guerre aujourd’hui épuisée, après les avoir vidés de leur sang, envoyé leurs enfants à la mort, étranglé même leur culture et leur foi. Maintenant, ils savent bien qu’ils n’ont pas leur mot à dire. Dans les camps, un ordre tyrannique règne, les yeux du « Front » sont partout, des milices se promènent, contrôlent, fouillent, braillent. Pour aller d’une réserve à l’autre, il faut une permission, un papier souvent impossible à obtenir, sauf si on a de bonnes relations Les plus chanceux, des hommes, sont déjà partis. En Algérie, en Mauritanie ou – c’est encore mieux – en Espagne, où ils peuvent bénéficier plus facilement du statut de réfugié.

Pour aller au Maroc, il faut réfléchir à deux fois si on laisse de la famille derrière soi. Les plus malins vivent du trafic des aides alimentaires, une aubaine pour Zouerate, dans le nord de la Mauritanie. Mais il y a bien sûr ceux qui dirigent : ils voyagent dans le monde, ils possèdent même, dit-on, de belles propriétés un peu partout, ils cultivent à souhait le tribalisme le plus primaire et le népotisme le plus voyant. Ceux-là, « les privilégiés de Rabbouni » comme on les appelle, sont-ils encore des leurs ?

Il y a quelques mois, je demandais à une jeune parente qui était venue en Mauritanie pour de trop longues vacances si elle suivait, dans les camps, la seule chaîne de télévision disponible, celle du Polisario. Sa réponse me surprit : « Non, personne ne la regarde là-bas, seulement des vieux qui croient encore à un futur État. » Je m’abstins, par pudeur, de pousser plus loin la discussion, mais elle enchaîna vite : « Dans toute ma famille, il n’y a que mon père qui y croit un peu, et je suis bien obligée de rester avec lui. » Voilà à quoi est réduite la jeunesse sahraouie des camps : attendre que les derniers vieux s’en aillent.

Ne plus rêver d’une victoire militaire

Aujourd’hui, il devient de plus en plus évident que cette situation de ni guerre ni paix ne profite plus à personne. Ni au Maroc, ni à l’Algérie ni surtout à ces milliers de Sahraouis perdus au milieu du désert de Lehmada.

La naissance d’un État sahraoui n’est réellement plus à l’ordre du jour. On en parle bien, dans de rares milieux, mais personne n’y croit vraiment. Elle n’est en réalité même pas vraiment souhaitée par l’Algérie elle-même. Un dirigeant sahraoui ayant rejoint le Maroc m’a dit il y a quelques années qu’il avait perdu tout espoir d’indépendance pour le Sahara occidental le jour où un officiel algérien lui déclara qu’il ne fallait plus, en aucune façon, rêver d’une victoire militaire contre le Maroc. « Et alors, se demanda-t-il… ? »

La victoire des irrédentistes sahraouis n’est en réalité souhaitée par personne. Car personne ne sait où pourrait mener un pouvoir mis aux mains de dirigeants volubiles, guerriers, ayant perdu toute popularité et tout contact avec le réel, de groupes armés sans autorité, de tribus prêtes à s’opposer les armes à la main. Une aubaine pour les mouvements terroristes ! Le Maroc, de toute façon, n’accepterait jamais l’amputation de ces territoires, devenus l’objet d’une cause nationale. La Mauritanie, la voisine du Sud, s’en méfierait fortement car un autre pays totalement « maure » ne manquerait pas d’avoir des visées sur le nord du pays, au moins. Déjà, dans la propagande occulte du Polisario, l’idée d’un ensemble maure – qui regrouperait la Mauritanie, le sud du Maroc, le nord du Mali et l’extrême-ouest algérien – est trop souvent avancée, la Mauritanie y étant considérée comme « le maillon faible », comme durant la guerre.

Ce conflit, donc, né en réalité de forts ressentiments qui perdurent depuis 1963 entre le Maroc et l’Algérie, ne doit, ne peut plus réellement continuer. Sauf si l’on a décidé cyniquement de priver toute une population de tous les bienfaits dont jouissent tous les autres peuples. Sauf si l’on veut entretenir une flamme qui, un jour, risque d’enflammer toute la région.

Alger devrait exercer son leadership sur le sujet

L’Algérie, qui est une grande puissance régionale, une grande économie, un pays immense, devrait, pour s’assurer une place de choix dans toute la région et jouer réellement un rôle de leadership au Maghreb et dans le monde, s’engager pour le retour de la paix et donc de la croissance économique de toute la région. Ce serait tout à son honneur et le pays du million de martyrs ne s’en porterait que beaucoup mieux. Ce ne sont pas les dirigeants du Polisario, prisonniers d’une logomachie dépassée et de leurs propres intérêts, qui pourront engager le processus. Ils ne disposent par ailleurs d’aucune liberté de manœuvre face à l’Algérie.

L’évidence qui s’impose est que la présence du Maroc au Sahara occidental est devenue, après cinquante années d’investissements, d’arrivées de populations entières venues le plus souvent du Sahara marocain, incontestée. Et l’avènement d’une génération qui n’a pas connu la guerre, incontournable. Cette présence a, ces dernières années, été reconnue par les grandes puissances – États-Unis, France, Espagne – et plusieurs pays africains ont retiré leur reconnaissance de la RASD. Et ce mouvement ne fait que s’amplifier.

La proposition marocaine d’autonomie interne est une base des plus réalistes pour de futures négociations. Elle constituerait une sortie honorable pour les indépendantistes. L’Algérie qui, ne nous trompons pas, est le seul négociateur crédible face au Maroc défendrait son droit à un accès totalement libre à l’Atlantique, la libre circulation de ses produits industriels. Les populations sahraouies disposeraient d’une large autonomie, d’une forme même d’indépendance. Sans drapeau bien sûr, sans diplomatie internationale et sans forces armées évidemment.

On m’avancera forcément beaucoup d’arguments de droit international. Ces arguments ne sont pas à sens unique et pourraient bien être retournés en faveur du Maroc. Mais plus que des arguties, la réalité est là : une population qui végète depuis cinquante ans dans des camps de réfugiés sans aucune perspective, et la nécessité pour toute la région de retrouver le chemin de la paix, de l’amitié, des échanges humains et économiques, des bienfaits du progrès.

 

 

 

Mbarek Ould Beyrouk

Écrivain mauritanien

 

 

 

Source : Jeune Afrique – (Le 23 avril 2025

 

 

 

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