Abidjan, l’autre capitale du rap français

Alors que Kaaris, né en Côte d’Ivoire, était la tête d’affiche du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo, toute une avant-garde de jeunes artistes franco-ivoiriens comme Le Juiice, Lala & ce, Laylow, Jeune Lion ou Jok’Air partage son temps entre les deux pays.

Le Monde – Deux concerts ont mobilisé la jeunesse ivoirienne fan de rap en ce mois d’avril : celui de la superstar locale de la « drill Ivoire », Himra, et celui du pionnier français de la trap, Kaaris. A l’occasion du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua), « K2A » s’est produit sur sa terre natale devant des dizaines de milliers de fans en ébullition qui connaissaient par cœur, malgré leur jeune âge, tous ses classiques. « Le futur du rap, c’est l’Afrique, se réjouissait-il la veille sur France 24. Ça se passera ici. »

Difficile de le contredire : depuis cinq ans, les rappeurs français se bousculent dans la capitale économique ivoirienne pour y enregistrer des featurings avec les artistes locaux ou pour y tourner des clips, et ils n’hésitent plus à intégrer à leurs morceaux des mots de « nouchi », l’argot des rues abidjanaises. « Le rap français est en perte de vitesse, explique Sheku Tall, directeur du label Coast 2 Coast. Il lui faut se réinventer et pour ça, quoi de mieux que de retourner aux sources ? »

Comme Youssoupha en 2016, Pit Baccardi fait partie des rappeurs français qui ont fait de la Côte d’Ivoire leur terre d’élection. « Quand je me suis installé à Abidjan en 2020, on l’appelait déjà « le nouveau Miami » », s’amuse l’ex-directeur du label Universal Music Africa. « Il y a une énergie particulièrement attirante à Abidjan, une volonté de faire les choses, explique-t-il, et tout un soft power qui fonctionne très bien. On l’a vu pendant la CAN 2024 ! » Les rappeurs français, en effet, n’étaient pas en reste : Big Flo et Oli, Laylow, Jok’Air et Le Juiice ont ainsi été repérés par des fans dans les tribunes des stades, encourageant l’équipe nationale de football en maillot orange. « Et puis la Côte d’Ivoire a déjà une identité hip-hop bien identifiée, le rap Ivoire, poursuit Pit Baccardi. Cela contribue beaucoup à son pouvoir d’attraction. Avec l’explosion de ces cinq dernières années, tout un environnement est en train de se créer. »

Edifices emblématiques et très riche vie nocturne

Séduits par l’énergie contagieuse du rap à l’ivoirienne, nourri d’influences coupé-décalé, nombreux sont donc les rappeurs français à avoir collaboré avec des Ivoiriens. Himra a ainsi invité Le Juiice et Gazo pour deux morceaux de son album Ivoire Drill King, en 2021, et est intervenu sur l’album de Le Juiice, Iconique, en 2022, tandis que Kaaris lui-même a chanté avec Suspect95 sur Adigbaté, en 2023. Mais le morceau le plus emblématique reste sans doute Gnonmi avec lait, un morceau en featuring entre Niska, au sommet de sa carrière, et le tout jeune Fior2Bior, adepte du gbogbarada, une variante du rap Ivoire.

Le morceau, inspiré par un goûter populaire, devient immédiatement viral à sa sortie en 2021, en partie pour son clip tourné à Anoumabo. « Quand j’ai fini le premier montage, Niska trouvait que c’était trop choco [sophistiqué, en nouchi], trop propre, se souvient le réalisateur Bouba Atkins. Donc j’ai dit : “Ah bon, tu veux du sale ? OK !” Et c’est là que j’ai ajouté le gars qui coupe son choukouya, son visage plein de suie, les femmes avec l’attiéké. Là, quand je l’ai montré à Universal et à Niska, ils ont tous applaudi ! »

D’autres Français ont misé sur la photogénie d’Abidjan, avec ses édifices emblématiques et sa très riche vie nocturne, pour y tourner leurs vidéos. Le premier, Kaaris, alors quasi inconnu, y avait tourné le clip de Paradis ou enfer, en 2013, avant le succès de son album Or noir. Plus récemment, Laylow y situait, en 2019, le clip surréaliste de son morceau phare Megatron, où les scènes de fête se juxtaposent à une errance hallucinée dans les rues du Plateau. De même que Lala & ce, en 2022, qui illustre Fallait dire non avec une virée en taxi rouge abidjanais, une soirée alcoolisée au maquis et une pool party dans une ambiance tropicale. « Ce sont ce genre de clips qui ont mis Abidjan sur la carte », résume Sheku Tall.

« La ville n’est pas encore à son prime »

Autre signe de cette vitalité nouvelle, les rappeurs franco-ivoiriens n’ont jamais été aussi nombreux à trouver le succès. Dans le sillage d’artistes confirmés comme Lala & ce, Le Juiice, Laylow ou Jok’Air, une avant-garde s’est formée ces dernières années, diasporique ou métisse, avec une double identité musicale entre la France et la Côte d’Ivoire. Citons ainsi KT Gorique, La Mano, Junior Bvndo, ou encore l’étoile montante parisienne Jeune Morty, qui s’est produit, le 19 avril, à la très chic villa Colomb de Cocody.

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 (Abidjan, correspondance)

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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