Journalisme au Burkina Faso : se soumettre ou disparaître

Afrique XXI – Parti pris · Le 24 mars 2025, comme une dizaine d’autres journalistes avant eux, Guézouma Sanogo et Boukari Ouoba ont été enlevés par le régime burkinabè et emmenés vers une destination inconnue. Les deux principales organisations professionnelles du pays qu’ils dirigeaient, l’Association des journalistes du Burkina Faso et le Centre national de presse Norbert Zongo, se voient ainsi décapitées.

Comme une graine que l’on sème, qui germe et qui grandit, la haine et le mépris à l’égard des médias indépendants et des journalistes professionnels au Burkina Faso ont atteint leur paroxysme. Le danger est venu de là où les hommes et les femmes de médias l’attendaient le moins : plutôt que des groupes armés djihadistes, qui opèrent sur le territoire depuis 2015, ce sont les militaires au pouvoir à Ouagadougou depuis 2022 qui kidnappent et font disparaître les voix critiques.

Le matin du 24 mars 2025, deux responsables d’organisations professionnelles des médias ont été enlevés par des individus se présentant comme des agents du service des renseignements du Burkina Faso : Guézouma Sanogo et Boukari Ouoba, respectivement président et vice-président de l’Association des journalistes du Burkina (AJB).

Ce n’est, certes, pas la première fois que des journalistes sont enlevés dans ce Burkina devenu une sorte de prison à ciel ouvert. Une bonne dizaine ont déjà été victimes de disparitions forcées. Et, jusqu’au moment où nous écrivons ces lignes, ni leurs familles ni leurs rédactions ne savent avec certitude où ils ont été conduits1.

Pour autant, ce énième enlèvement de professionnels de la presse restera gravé dans les annales de l’histoire des assauts répétés contre la liberté de presse. En forçant jusqu’aux locaux du Centre national de presse Norbert Zongo (CNPNZ) pour y cueillir manu militari les deux responsables syndicaux, le pouvoir d’Ibrahim Traoré vient d’appuyer sur la gâchette de l’arme qui anéantira durablement la liberté de presse si chèrement conquise.

Un refuge, un sanctuaire inviolable

Le CNPNZ est le symbole de la liberté d’expression et de la presse au Burkina Faso. Il porte le nom du plus célèbre de ses journalistes, Norbert Zongo, assassiné le 13 décembre 1998 par des militaires du Régiment de sécurité présidentielle, la garde prétorienne du président de l’époque, Blaise Compaoré, lui aussi capitaine de l’armée burkinabè2.

Le Centre est aussi le refuge, par excellence, de tous les défenseurs de la liberté, de la démocratie et des droits humains. Il est le havre et le lieu d’où partent, pour se faire entendre dans les médias, toutes les voix critiques des damnés de la société. En pénétrant dans ce sanctuaire de la liberté pour y arrêter Boukari Ouoba et Guézouma Sanogo, le pouvoir d’Ibrahim Traoré franchit une nouvelle ligne rouge.

Le CNPNZ se prononce régulièrement sur toutes les actions qui marquent le rétrécissement des espaces de liberté. Ainsi, les menaces contre les journalistes, l’expulsion de journalistes étrangers, la fermeture de médias nationaux et internationaux, les réformes antidémocratiques et antipresse initiées par le gouvernement y étaient régulièrement dénoncées. Le Centre prenait position contre les atteintes aux libertés, s’entourait d’avocats pour judiciariser les dossiers des journalistes portés disparus. Il y avait comme un consensus national pour faire de ce lieu un abri, une sorte d’enclave diplomatique, un sanctuaire inviolable, infranchissable par les forces de l’ordre. Le Centre était, de ce fait, devenu un parapluie pour tous les journalistes indépendants. Il dérangeait les autorités burkinabè. Il constituait un rideau de fer qui n’empêchait pas, certes, mais qui ralentissait les putschistes dans leur volonté de briser l’esprit d’indépendance persistant dans certains médias au Burkina Faso.

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Serge Chams

Journaliste burkinabè écrivant sous pseudonyme.

 

 

 

 

Source : Afrique XXI

 

 

 

 

 

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