Sénégal : un an après l’élection de Bassirou Diomaye Faye, une rupture moins franche que prévu

Elu sur un programme souverainiste, le vainqueur de la présidentielle du 24 mars 2024 s’emploie à mettre en place les réformes de fond promises par son parti. Avec un style méthodique et feutré, au risque de susciter de l’impatience.

Le Monde  – Dix jours seulement après être sorti de sa cellule de la prison du Cap Manuel, Bassirou Diomaye Faye, alors quasiment inconnu des Sénégalais, gagnait haut la main l’élection présidentielle du 24 mars 2024 sur un programme souverainiste de « rupture » et de grandes réformes de fond. Un an plus tard, le président sénégalais a surpris par sa capacité à habiter la fonction, mais commence à susciter de l’impatience.

Dès son arrivée au Palais de la République, le chef de l’Etat a découvert des dossiers chauds, comme le redressement de la compagnie nationale Air Sénégal, criblée de dettes. Il a dû gérer les urgences, à l’instar de la crise entre les juntes militaires au pouvoir au Sahel et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), dont Dakar est un pilier. Coup plus dur encore, il est confronté depuis février à la découverte d’une dette publique avoisinant les 99,6 % du PIB et un déficit budgétaire à 12,3 %, révélés par un rapport de la Cour des comptes. Des chiffres plus élevés que ceux que les anciennes autorités à Dakar communiquaient aux institutions internationales.

Les « finances publiques [sont] exsangues », a-t-il déclaré en février sur les ondes de la Radio Télévision Sénégalaise (RTS), estimant que cela freinait ses ambitions alors que la mise en œuvre de son programme nécessite au moins 18 500 milliards de francs CFA (28 milliards d’euros) sur cinq ans. « Face à la situation effarante dans laquelle nous avons trouvé le pays, on reprend tout depuis le début », souffle le député Amadou Ba, proche de M. Faye. « Code des impôts, des douanes, de l’investissement… » Les équipes du parti présidentiel, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), planchent sur des sujets « incontournables », selon l’élu, mais peu vendeurs politiquement.

La réforme des institutions attendra

Entre urgences et contingences, un an plus tard, beaucoup des promesses phares du Pastef restent à leur état primitif. Exemple éloquent : la grande réforme des institutions, qui prévoyait une réduction du pouvoir présidentiel, devait être lancée dans la première année de présidence. C’était écrit noir sur blanc dans le « Projet », document pilote du Pastef, dont M. Faye a été une des principales plumes. « Le président ne dispose de majorité parlementaire que depuis quatre mois », rappelle sa haute représentante, Aminata Touré, pour expliquer que cette promesse soit pour l’instant restée lettre morte.

Taiseux et discret, Bassirou Diomaye Faye était dans l’ombre d’Ousmane Sonko avant son accession au pouvoir. Mais celui qui était à la fois le bras droit et la tête pensante du président du parti s’était préparé depuis longtemps à accéder à la magistrature suprême. « La première fois que son nom est cité, c’est quand Ousmane Sonko est convoqué par un juge d’instruction en mars 2021 », raconte le député du Pastef Ayib Daffé, comme si dès le début des démêlés judiciaires du leader d’opposition, M. Faye était considéré comme une alternative crédible. Trois ans plus tard, en 2024, le plan « B » est activé. Même s’il est incarcéré dans la prison du Cap Manuel, au sud de Dakar, M. Faye est éligible – contrairement au plan « A », Ousmane Sonko. A deux mois de la présidentielle, il est officiellement désigné candidat du Pastef.

« En cellule, il avait passé son temps à lire et à prendre des notes pour le programme du parti », se souvient un militant du Pastef emprisonné à ses côtés qui faisait office de « goûteur » pour M. Faye, alors que la tension politique était à son comble.

Le 14 mars 2024, M. Faye et M. Sonko quittent la prison à la faveur d’une loi d’amnistie. Le slogan « Diomaye mooy Sonko » (« Diomaye c’est Sonko », en wolof) est lancé. Dix jours de campagne électorale plus tard, M. Faye devient à 44 ans le cinquième président du Sénégal. Il n’a jamais été élu auparavant, ayant échoué à une élection locale en 2022. « En l’emprisonnant, l’ancien régime lui a offert un moment de travail et d’introspection. Loin du bruit, loin de tout », sourit le député Amadou Ba.

Moins expansif que ses prédécesseurs

Depuis, les Sénégalais se sont familiarisés avec le verbe feutré de leur dirigeant. Ils louent ses tenues signées par des couturiers en vogue qui marient designs traditionnels et contemporains. Ils ont découvert ses deux épouses, Absa Faye et Marie Khone Faye, qui ont procédé à leurs premières opérations caritatives au début du ramadan. « Il a pris le rythme, il colle à la fonction », assure Mme Touré, qui reconnaît que le personnage est moins expansif que ses prédécesseurs. « Est-ce un mal ? Nous ne sommes pas favorables à l’hyper-présidentialisme… C’est son caractère », souligne M. Ba. « Il écoute, synthétise, et s’en tient à ses conclusions », défend Mme Touré.

Un style tout en retenu qui tranche avec celui de tribun de son « frère » M. Sonko, devenu son premier ministre. Mais cela ne l’empêche pas d’asseoir son autorité. Interrogé sur l’espace occupé par son premier ministre, il rétorque : « Je l’encourage à non pas lorgner le fauteuil mais à regarder le fauteuil ».

A Ousmane Sonko, les déclarations tonitruantes et les confrontations. C’est lui qui sillonne le pays lors des législatives de novembre 2024, après que le président a annoncé une dissolution de l’Assemblée nationale. C’est aussi lui qui répond avec ardeur au président français Emmanuel Macron à deux reprises. Alors qu’en août, l’Elysée vient d’annoncer que des victimes du massacre de Thiaroye seraient reconnues « Mort pour la France », M. Sonko ne se contente pas de la nouvelle. « Ce n’est pas à elle [la France] de fixer unilatéralement le nombre d’Africains trahis et assassinés (…) [ni] la portée de la reconnaissance et des réparations qu’ils méritent. »

Lire la suite

 

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page