
Afrique XXI – Parti pris · Rappel des ambassadeurs, accusations réciproques, interpellations du haut des tribunes internationales : en dépit d’intérêts stratégiques partagés, la crise diplomatique entre le Mali et l’Algérie frôle, ces derniers mois, le point de rupture.
Les récentes tensions entre le Mali et l’Algérie, particulièrement aiguës depuis le retrait de la force onusienne de la Mission de maintien de la paix des Nations unies au Mali (Minusma) ordonné en juin 2023, s’inscrivent dans une longue histoire de relations complexes, marquées par la méfiance et l’ambiguïté.
À l’origine de la dégradation récente des relations diplomatiques entre les deux pays, le Mali a accusé l’Algérie de s’immiscer dans ses affaires intérieures et de soutenir des groupes qu’il considère comme terroristes. Ces frictions s’expliquent, en partie, par l’héritage de l’Algérie dans la région, notamment celui de sa propre guerre contre le terrorisme : la « décennie noire » (1992-2002) y a vu la montée en puissance des Groupes islamiques armés (GIA), dont l’évolution a conduit à la formation du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Ce dernier s’est ensuite transformé en Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi)1, désormais replié au Sahara malien dans un nouveau groupe, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (en arabe, Jama’at Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin, JNIM). Ce phénomène a eu des répercussions bien au-delà des frontières algériennes et constitue un élément clé pour comprendre les dynamiques actuelles de la région.
La position de l’Algérie à l’égard du Mali et de ses voisins sahéliens est également façonnée par des considérations géostratégiques. Le sud de l’Algérie abrite des installations pétrolières et gazières vitales pour l’économie nationale, à proximité immédiate de la frontière malienne. Cette proximité géographique joue un rôle central dans la politique sécuritaire algérienne.
Une coopération largement inefficace
D’un côté, Alger cherche à ménager les insurgés touaregs, dont certains entretiennent des liens historiques, culturels et familiaux forts avec les communautés touaregs du Sud algérien. De l’autre, elle doit éviter de se mettre Bamako à dos tout en protégeant ses propres intérêts sécuritaires. Ce fragile équilibre vise avant tout à éviter que le conflit ne déborde sur son territoire, où la menace djihadiste reste une préoccupation majeure.
Pour les autorités maliennes, cette prudence relève davantage d’un double jeu. Alger est accusé de ne pas s’impliquer suffisamment dans la lutte contre les groupes armés qui déstabilisent la région.
On se souvient notamment de l’échec du Comité d’état-major opérationnel conjoint (Cemoc), basé à Tamanrasset, qui devait coordonner la lutte antiterroriste entre les pays du Sahel. En théorie, cette structure avait pour mission de renforcer la coopération régionale face aux menaces sécuritaires. En pratique, elle est restée largement inefficace, sans réel impact sur le terrain. Comme le soulignait la sociologue algérienne Laurence Aïda Ammour2 en 2012, le Cemoc a souffert d’un manque de volonté politique et d’une méfiance persistante entre les États concernés, rendant toute action coordonnée quasi impossible.
Une frontière floue entre rebelles et djihadistes
Parmi les problèmes, la frontière entre rebelles et djihadistes qui est parfois floue. Certains groupes entretiennent des relations, collaborent ou se combattent selon les circonstances. L’implantation des groupes djihadistes dans le nord du Mali a créé des liens entre combattants et populations locales. Ainsi, plusieurs combattants se sont mariés au sein des populations locales afin de bénéficier de la protection des tribus de leurs épouses3.
Pour Bamako, ces factions représentent une même menace, et toute hésitation algérienne est perçue comme une complicité tacite. L’Algérie, elle, privilégie une approche prudente, fondée sur la diplomatie et un contrôle discret des événements. Mais cette stratégie est de plus en plus contestée. Cette situation crée une dynamique particulièrement sensible, où les enjeux locaux et régionaux se rejoignent.
Cherchant à éviter que les rébellions ne débordent sur son propre territoire, l’Algérie a adopté une politique ambiguë envers les groupes armés sahéliens. Sa politique de « containment » remonte aux années 1990, lorsque les soulèvements touaregs au Niger et au Mali ont créé des vagues de déplacements vers l’Algérie. La méfiance d’Alger face à toute présence militaire étrangère à sa frontière s’explique largement par la volonté de préserver son intégrité territoriale et une fragile stabilité intérieure.
Le Maroc place ses pions
Dans ce contexte où l’influence de l’Algérie au Mali et plus généralement au Sahel est en déclin, le Maroc apparaît comme un acteur régional de plus en plus important. Le royaume s’appuie sur son histoire ancienne dans la région pour renforcer son influence politique. Sa diplomatie pragmatique et multiforme lui permet de se positionner en tant que médiateur et partenaire stratégique. Une centrale électrique marocaine a été inaugurée en décembre 2024 à Niamey pour renforcer la souveraineté énergétique du Niger et améliorer l’approvisionnement de la capitale. La médiation du Maroc, saluée par la France, a par ailleurs permis la libération de quatre agents français de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) détenus au Burkina Faso depuis décembre 2023 et accusés d’espionnage.
Bah Traoré est chargé de recherche pour le Think tank de l’Afrique de l’Ouest (Wathi)
Source : Afrique XXI
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