BURKINA FASO – Les balles et les machettes de la haine

Enquête Plus – Les récents événements survenus dans la région de Solenzo, dans le nord-ouest du Burkina Faso, ont plongé le pays dans une nouvelle crise humanitaire et politique. Entre le 10 et le 12 mars, des vidéos insoutenables, relayées sur les réseaux sociaux, ont révélé des exactions massives contre des populations peules, principalement des femmes, des enfants et des personnes âgées. Ces images, qualifiées de « pogroms » par des organisations de défense des Droits de l’homme, ont suscité l’indignation de la communauté internationale et des appels pressants à une enquête impartiale.

Selon un reportage du magazine ‘’Jeune Afrique’’ publié le 10 mars dernier, une vaste opération de ratissage a été lancée dans la région de Solenzo, près de la frontière malienne. Initialement destinée à cibler les jihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), l’opération aurait rapidement dégénéré en violences contre les civils peuls. Des villages comme Bèna, Ban et Darsalam ont été le théâtre d’arrestations massives, d’exécutions sommaires et de scènes de torture.

Les vidéos, difficiles à regarder, montrent des dizaines de corps ligotés, jonchant le sol, dont de nombreux enfants et adolescents. Certaines victimes ont les yeux bandés, tandis qu’un bébé pleure près du corps de sa mère. Les auteurs de ces actes, identifiés comme des membres des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), une milice civile soutenue par l’État, interrogent violemment les survivants, cherchant des informations sur les jihadistes présumés. « Où sont vos leaders, ceux qui tiennent les fusils ? », lance un milicien à une femme blessée, allongée dans les feuilles mortes. « Je ne sais pas. J’ai mal, il est cassé », murmure-t-elle en pointant son dos.

Ces scènes se répètent dans plusieurs villages de la province des Banwa, où les populations peules, déjà vulnérables, ont trouvé refuge face à la montée des tensions communautaires et à l’armement massif des VDP. Ces milices, recrutées après une formation sommaire, sont censées soutenir les forces de sécurité régulières, mais elles sont régulièrement accusées d’exactions contre les civils.

Les associations locales et les organisations de défense des Droits de l’homme dénoncent un massacre ciblé contre la communauté peule, souvent stigmatisée au Sahel pour ses liens supposés avec les groupes jihadistes.

Selon Newton Ahmed Barry, journaliste burkinabé en exil, « ce qui s’est passé cette semaine est une opération de représailles contre les Peuls. À défaut d’atteindre ceux qui ont attaqué et tué leurs camarades, les VDP se défaussent sur les civils peuls qu’ils considèrent comme des complices, car de la même ethnie que les jihadistes ».

Le contexte sécuritaire exacerbé explique en partie cette violence. Le 21 novembre 2024, une attaque jihadiste dans le département de Solenzo avait coûté la vie à 15 membres des VDP, provoquant une colère immense parmi les milices et les forces de sécurité. Cette attaque avait également déclenché des violences contre les autorités locales, dont le chef de canton, lynché à mort par la foule en colère.

Les démentis des autorités burkinabé

Face à ces accusations, les autorités burkinabé ont fermement nié toute implication dans des massacres de civils. Le chef du gouvernement, Jean-Emmanuel Ouédraogo, a qualifié les vidéos de « manipulation » visant à discréditer les forces de sécurité. « De grandes opérations de lutte contre le terrorisme sont en cours. Le rouleau compresseur de l’armée est en train d’écraser l’ennemi dans ces zones », a-t-il déclaré.

Le porte-parole du gouvernement, Pingdwendé Gilbert Ouédraogo, a également condamné la propagation des images sur les réseaux sociaux, les qualifiant de « fausses informations » destinées à semer la division. « Le gouvernement regrette et condamne la propagation d’images d’incitation à la haine et à la violence communautaire », a-t-il écrit dans un communiqué.

Cependant, ces démentis n’ont pas convaincu les organisations de défense des Droits de l’homme, qui réclament une enquête indépendante. Human Rights Watch (HRW) a dénombré au moins 58 corps dans les vidéos, mais estime que le bilan réel pourrait être bien plus lourd, certains cadavres étant empilés les uns sur les autres.

Dans un communiqué publié le 15 mars, HRW a appelé les autorités burkinabé à « enquêter de manière impartiale et à poursuivre de manière appropriée tous les responsables de ces crimes graves ». L’ONG a également dénoncé « l’absence systématique de responsabilité » des forces de sécurité et des milices progouvernementales.

« Il ne se passe pas un jour sans que les VDP perdent des hommes dans cette région, mais cela ne justifie pas des représailles contre des civils », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse spécialiste du Sahel chez HRW. « Les autorités doivent prendre des mesures immédiates pour mettre fin aux attaques de civils et punir les responsables d’atrocités comme celles de Solenzo ».

Une communauté peule sous pression

La communauté peule, déjà marginalisée, est régulièrement prise pour cible dans le contexte de la lutte contre le terrorisme au Sahel. Accusée de composer une grande partie des rangs des groupes jihadistes, elle subit des représailles systématiques de la part des forces de sécurité et des milices locales. En septembre 2023, l’AFP avait rencontré plusieurs Peuls réfugiés en Côte d’Ivoire, qui avaient dénoncé les exactions des forces de sécurité dans diverses localités du Burkina Faso.

« Chaque attaque jihadiste est suivie de représailles », a expliqué un membre de la communauté peule ayant fui la zone de Solenzo, il y a un an. « Nous sommes pris entre deux feux : les jihadistes et les milices. »

Le mouvement de la société civile burkinabé, souvent réduit au silence par la répression de la junte, a également condamné les violences. Le collectif Sens a dénoncé des « vidéos insoutenables » et rappelé que « la lutte contre le terrorisme n’autorise pas tout ».

« Comment peut-on justifier de telles expéditions punitives sur des populations faibles et sans défense dont le seul crime est leur appartenance à une communauté ethnique ? », a-t-il déclaré.

Selon Sens, plus de 500 civils ont été tués par les forces de sécurité et leurs supplétifs depuis 2023. Ces chiffres, bien que difficiles à vérifier, soulignent l’ampleur de la crise humanitaire et sécuritaire au Burkina Faso.

Dans un contexte sécuritaire déjà tendu par la montée des groupes jihadistes au Sahel, la communauté peule est devenue la cible d’une campagne de stigmatisation et de violences systématiques. Accusés de collusion avec les groupes armés, les Peuls subissent des arrestations arbitraires, des exécutions sommaires et des massacres collectifs, tant au Burkina Faso qu’au Mali. Ces violences, souvent justifiées par la lutte contre le terrorisme, révèlent une dangereuse dérive communautaire et une absence criante de responsabilité des États.

La stigmatisation des Peuls : un terreau fertile pour la violence

En 2022, l’organisation culturelle peule Tabital Pulaaku Mali a tiré la sonnette d’alarme, dans un communiqué. Tout en condamnant les attaques jihadistes contre l’armée malienne, l’organisation a dénoncé la montée d’un ‘’sentiment de haine’’ et des ‘’appels à la violence’’ contre les Peuls, notamment sur les réseaux sociaux. ‘’Tous les Peuls ne sont pas des jihadistes et tous les jihadistes ne sont pas des Peuls’’, a rappelé l’association, soulignant que la responsabilité pénale est individuelle et non collective.

Au Burkina Faso, la situation est tout aussi alarmante. Depuis des années, des messages haineux circulent sur les réseaux sociaux, appelant à ‘’éliminer’’ les Peuls. Ces appels à la violence, souvent comparés à la rhétorique qui a précédé le génocide au Rwanda, se sont intensifiés avec l’escalade des attaques jihadistes. Les Peuls, peuples nomades de plusieurs millions d’habitants, sont accusés de composer une grande partie des rangs des groupes armés. Un trombinoscope des jihadistes les plus recherchés, publié par l’armée burkinabé en mai 2022, révèle que sur 136 individus, au moins 120 sont d’origine peule.

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Amadou Camara GUEYE

Source : Enquête Plus (Sénégal) – Le 17 mars 2025

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